Publié tous les week-ends/ Published every weekend
Ne serait-il pas merveilleux si ces histoires étaient vraies? Malheureusement (ou heureusement) ce n'est pas le cas. Elles ne sont que le fruit de mon imagination fertile. Tous les personnages et les événements décrits sont fictifs et si vous croyez vous reconnaître ou reconnaître une de vos connaissances, ce n'était pas mon intention et ce n'est qu'une coïncidence. J'espère que ce blogue vous plaira. N'hésitez pas à en faire circuler le lien où vous vous promenez sur l'Internet et à laisser des commentaires ci-dessous. J'aime bien entendre parler de vous.
Geoffroy
2014-03-28
Chronique hospitalière IV : Des civières dans l’aire
Le présent récit fait partie d'un feuilleton. Vous pouvez lire le premier épisode et suivre l'hyperlien à la fin de chaque billet pour lire la suite.
Un hôpital est un univers rempli d’appareils étranges et peuplé de gens mystérieux parlant un langage incohérent. Je n’y étais que depuis quelques heures et déjà on avait vérifié mes signes vitaux – sans doute pour s’assurer que j’étais toujours vivant. On m’avait ensuite encubé et j’étais maintenant poussé par un brancardier à travers un dédale de couloirs vers une « aire de civières ».
L’aire des civières était en fait une grande salle carrée du service des urgences où l’on gare les patients en attendant d’établir un diagnostic ou qu’un lit de l’hôpital se libère pour les accueillir. Tout le long des murs phériphériques, une vingtaine de modules étaient aménagés pour chacun accueillir deux civières séparées par un mince rideau. On y trouvait également cinq chambrettes vitrées servant à isoler les patients contagieux et les agonisants.
Ma voisine de module, une femme de 42 ans, infortunée victime du sport, s’était fracturé la colonne vertébrale en sautant une mauvaise bosse en toboggan avec ses enfants.
« Bonjour, je m’appelle Florence et je suis l’infirmière qui vous a été assignée. Avez-vous mal? À combien évaluez-vous votre douleur? »
Dérouté par cette question et sans doute rendu confus par la souffrance, je me suis demandé un moment si je devais « évaluer ma douleur » en dollars canadiens ou en dollars américains.
« Sur une échelle de zéro à dix, à combien évaluez-vous votre douleur? » précisa l’infirmière.
« J’ai très mal », balbutiai-je finalement.
« Très bien, disons huit. Je vais vous apporter un analgésique. Si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas à sonner », dit-elle avant de disparaître avec ses appareils.
La douleur était intolérable, le moindre mouvement m’arrachait des gémissements qui s’ajoutaient à ceux de ma voisine de module et des autres patients de l’aire de civières pour former un concert de lamentations inlassablement ponctué par les sonnettes et les avertisseurs des appareils de contrôle.
Au bout d’une heure, n’en pouvant plus d’attendre l’analgésique promis par Florence, je me souvins du flacon d’ibuprofène que j’avais apporté dans mon sac. J’en avalai deux comprimés et sombrai dans un sommeil agité.
« Monsieur, monsieur! Réveillez-vous! Je vous ai apporté votre analgésique! »
C’était Florence, mon infirmière, qui me tendait deux cachets d’acétaminophène et un verre d’eau.
« Qu’avez-vous là? Qui vous a donné cette médication? » dit-elle en s’emparant de l’anti-inflammatoire.
« Personne, répondis-je, il s’agit du médicament que je prenais à la maison pour apaiser ma douleur et réduire l’enflure. »
« Et ce médicament vous a-t-il été prescrit par votre médecin? »
« Pas du tout, ce sont des pilules en vente libre, on peut les acheter dans n’importe quelle pharmacie et elles me soulagent », répliquai-je.
« Monsieur, vous ne pouvez pas prendre de médicaments qui ne sont pas prescrits par un médecin. Je dois rapporter cet incident, excusez-moi. »
Sur ce, elle s’éclipsa, emportant mes précieux anti-inflammatoires et l’analgésique qu’elle venait de me tendre.
Stupéfait de me voir confisquer mon remède, je réussis avec peine à me rendormir.
Quand je me réveillai, un petit bonhomme joufflu et barbichu avec un air de farfadet était assis au pied de ma civière et me tapotait la jambe.
« Bonjour, comment allez-vous aujourd’hui », me dit le personnage.
Encore engourdi par le sommeil, j’avais l’impression que, par je ne sais quel sortilège, je me retrouvais sur la Terre du Milieu et qu’à tout moment, Gandalf le Gris et Frodon Sacquet apparaîtraient pour m’entraîner dans une épopée fantastique.
« Pas très bien, mais qui êtes-vous? », demandai-je au gnome.
« Je suis le docteur Ogham, neurologue. Racontez-moi en quel honneur vous vous êtes retrouvé à l’hôpital. »
Une fois de plus, j’exposai l’invraisemblable récit de ma goutte qui s’était transformée en entorse du genou puis en paralysie. Pendant ce temps, le lutin palpait mes genoux, mes poignets et mes mains en prenant quelques notes et en me demandant de fléchir mes membres.
« Je vois, je vois, dit le médecin, mais pour mieux voir, il serait préférable de vous passer au tomodensitomètre, faire une IRM, un EMG, des rayons X... Je vais vous arranger ça. »
Sur ces mots, le docteur se retira, me laissant pantois devant la langue hermétique des professionnels de la santé.
Une heure plus tard, un brancardier venait me chercher pour m’emmener au service de médecine nucléaire pour me faire irradier par un tomodensitomètre à positrons.
Finalement, le brancardier poussa ma civière dans une pièce où le docteur Ogham allait me faire un électromyogramme, une méthode de diagnostic consistant à appliquer des chocs électriques à différents nerfs au moyen d’aiguilles branchées à une source d’électricité afin de faire réagir les muscles.
Allongé sur la table d’examen pendant que le neurologue me transperçait d’aiguilles, je me sentais comme une poupée vaudou destinée à envoûter un quelconque personnage politique.
« Étrange, très étrange. Les muscles répondent bien au stimulus, pensa à voix haute le praticien, il ne semble pas s’agir d’un trouble neurologique, tout fonctionne normalement. »
De retour à l’aire des civières, j’engageai la conversation avec ma voisine. En discutant de nos afflictions j’appris qu’elle attendait qu’on lui fabrique un appareil orthopédique pour immobiliser sa colonne vertébrale, ce qui lui permettrait de s’asseoir et de bouger sans risquer de se blesser davantage.
« De toutes façons, dit-elle, on ne peut me garder plus de 48 heures à l’urgence. »
« Et pourquoi donc, lui demandai-je? »
« C’est la limite imposée par le ministère de la santé. En cas de dépassement, l’hôpital est frappé d’une forte amende, il a donc intérêt à me trouver un lit rapidement. »
La nuit était tombée. Immobile sur mon grabat, frissonnant, je sentais la douleur envahir à nouveau mes articulations. Que n’aurais-je donné pour retrouver ma bouteille d’ibuprofène saisie par l’infirmière!
Pitoyablement, j’appuyai sur le bouton de la sonnette dont le fil était noué à l’une des barrières de ma civière. Le tintamarre des avertisseurs faisait rage dans l’aire des civières accentuant le rythme des geignements des malades, des blessés et des mourants. Abattu, je m’abandonnai à un sommeil tourmenté en attendant qu’une infirmière daigne m’apporter les drogues pouvant calmer mon mal.
Lisez la suite de ce feuilleton dans Chronique hospitalière V : Le goéland
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C'est drôlement bien ficelé tes textes et c'est la récompense de la journée de te lire! Merci!
RépondreEffacerA. L. via email
Enchanté que mes histoires te plaisent. Merci de lire En direct de l'intestin grêle
EffacerGeoff