Aïe! Un élancement atroce me réveilla au milieu de la nuit.
C’était la quatrième fois depuis 30 ans que j’avais une crise de goutte. Je connaissais le refrain : une douleur aiguë à l’articulation du gros orteil qui se résorberait à coups de compresses de glace et d’anti-inflammatoires. J’en serais quitte pour flâner au lit quelques jours en relisant Guy de Maupassant.
Hélas! Après trois jours, bien que l’enflure ait diminué, j’avais toujours mal au pied et je me déplaçais en boitant. Ce n’était pourtant pas intolérable et je retournai au travail où m’attendait la révision d’un long rapport sur l’injection de nouveaux capitaux pour aider à cristalliser le système de santé publique canadien.
« La goutte? Tu te prends pour Molière maintenant? » se moqua mon ami Aaron quand il me vit au bureau.
J’essayai de lui expliquer que la goutte n’était pas une affliction désuète et que sa prévalence était actuellement à la hausse en Amérique, mais mon collègue ne m’écoutait plus : il se concentrait sur la cafetière qui crachotait avec peine un espresso récalcitrant dans sa tasse.
Je pris donc les deux semaines de vacances annuelles qui me restaient et continuai ma lecture des contes de Maupassant.
Mon congé forcé tirait à sa fin et je devais retourner au travail, mais mon genou me faisait toujours languir. Muni d’une canne, je retournai à la clinique où le médecin palpa brièvement mon genou tuméfié et opina immédiatement :
« Voilà un superbe cas d’entorse avec déchirure ligamentaire! Il vous faudra vous mettre au lit mon cher! Ne vous avais-je pas dit de prendre du repos? »
« Mais ça fait deux semaines que je suis à la maison! »
« Au lit? Non, non, mon ami, gardez le lit, la jambe surélevée, appliquez des compresses de glace quatre fois par jour et je vous prescris des anti-inflammatoires pour apaiser le mal. »
L’ordonnance en main, j’appelai un taxi pour me conduire à la pharmacie tout en pensant que, ayant épuisé mes vacances annuelles, je devrais dorénavant prendre des congés sans solde pour me soigner.
Le chauffeur de taxi était loquace et, voyant ma canne, me demanda ce qui m’était arrivé.
« Oh, ce n’est rien, une vilaine entorse au genou » répondis-je.
« Vous devriez cesser de fumer! » observa-t-il.
Peu impressionné par la sagesse populaire du gaillard, je ne pouvais qu’être sidéré par le succès de la publicité anti-tabac mise de l’avant par l’État, le corps médical et l’industrie pharmaceutique et qui permet de porter tous les maux de la Terre au compte de la consommation de cigarettes.
Je me retrouvais donc au lit à nouveau, déterminé cette fois à venir à bout de ma foulure qui commençait à me coûter cher. Je ne me levais qu’une fois par jour pour aller à la toilette et me préparer de simples repas que je mangeais allité.
Mon alimentation était frugale et consistait principalement en sandwiches, en fruits et légumes frais, en céréales, en fromage, en biscuits secs et en eau. À l’aide d’une lame de rasoir, je modifiai une bouteille de deux litres de boisson gazeuse pour m’en faire un pot de chambre afin de limiter mes déplacements.
Je réussissais à me tirer hors du lit à l’aide d’une courroie attachée à la porte de ma chambre et d’un tabouret sur lequel je me soulevais avec mon coude. De jour en jour cependant, le trajet entre ma chambre, la salle de bain et la cuisine devenait de plus en plus pénible.
Un matin je me réveillai étendu sur le dos, les bras écartés, complètement paralysés.
Je suis sûr que c’était la première fois dans l’histoire de la médecine moderne qu’une crise de goutte se transformait en entorse du genou pour finir par se propager au torse et aux membres supérieurs d’un individu.
C’est à ce moment que je compris que j’avais vraiment besoin d’aide.
La suite de ce récit dans Chronique hospitalière II : La luciole.
C’était la quatrième fois depuis 30 ans que j’avais une crise de goutte. Je connaissais le refrain : une douleur aiguë à l’articulation du gros orteil qui se résorberait à coups de compresses de glace et d’anti-inflammatoires. J’en serais quitte pour flâner au lit quelques jours en relisant Guy de Maupassant.
Hélas! Après trois jours, bien que l’enflure ait diminué, j’avais toujours mal au pied et je me déplaçais en boitant. Ce n’était pourtant pas intolérable et je retournai au travail où m’attendait la révision d’un long rapport sur l’injection de nouveaux capitaux pour aider à cristalliser le système de santé publique canadien.
« La goutte? Tu te prends pour Molière maintenant? » se moqua mon ami Aaron quand il me vit au bureau.
J’essayai de lui expliquer que la goutte n’était pas une affliction désuète et que sa prévalence était actuellement à la hausse en Amérique, mais mon collègue ne m’écoutait plus : il se concentrait sur la cafetière qui crachotait avec peine un espresso récalcitrant dans sa tasse.
Je pris donc les deux semaines de vacances annuelles qui me restaient et continuai ma lecture des contes de Maupassant.
Mon congé forcé tirait à sa fin et je devais retourner au travail, mais mon genou me faisait toujours languir. Muni d’une canne, je retournai à la clinique où le médecin palpa brièvement mon genou tuméfié et opina immédiatement :
« Voilà un superbe cas d’entorse avec déchirure ligamentaire! Il vous faudra vous mettre au lit mon cher! Ne vous avais-je pas dit de prendre du repos? »
« Mais ça fait deux semaines que je suis à la maison! »
« Au lit? Non, non, mon ami, gardez le lit, la jambe surélevée, appliquez des compresses de glace quatre fois par jour et je vous prescris des anti-inflammatoires pour apaiser le mal. »
L’ordonnance en main, j’appelai un taxi pour me conduire à la pharmacie tout en pensant que, ayant épuisé mes vacances annuelles, je devrais dorénavant prendre des congés sans solde pour me soigner.
Le chauffeur de taxi était loquace et, voyant ma canne, me demanda ce qui m’était arrivé.
« Oh, ce n’est rien, une vilaine entorse au genou » répondis-je.
« Vous devriez cesser de fumer! » observa-t-il.
Peu impressionné par la sagesse populaire du gaillard, je ne pouvais qu’être sidéré par le succès de la publicité anti-tabac mise de l’avant par l’État, le corps médical et l’industrie pharmaceutique et qui permet de porter tous les maux de la Terre au compte de la consommation de cigarettes.
Je me retrouvais donc au lit à nouveau, déterminé cette fois à venir à bout de ma foulure qui commençait à me coûter cher. Je ne me levais qu’une fois par jour pour aller à la toilette et me préparer de simples repas que je mangeais allité.
Mon alimentation était frugale et consistait principalement en sandwiches, en fruits et légumes frais, en céréales, en fromage, en biscuits secs et en eau. À l’aide d’une lame de rasoir, je modifiai une bouteille de deux litres de boisson gazeuse pour m’en faire un pot de chambre afin de limiter mes déplacements.
Je réussissais à me tirer hors du lit à l’aide d’une courroie attachée à la porte de ma chambre et d’un tabouret sur lequel je me soulevais avec mon coude. De jour en jour cependant, le trajet entre ma chambre, la salle de bain et la cuisine devenait de plus en plus pénible.
Un matin je me réveillai étendu sur le dos, les bras écartés, complètement paralysés.
Je suis sûr que c’était la première fois dans l’histoire de la médecine moderne qu’une crise de goutte se transformait en entorse du genou pour finir par se propager au torse et aux membres supérieurs d’un individu.
C’est à ce moment que je compris que j’avais vraiment besoin d’aide.
La suite de ce récit dans Chronique hospitalière II : La luciole.
J'ai hâte de connaître la suite. J'espère que ça va mieux.
RépondreEffacerA. L. via FB
J'adore ton humour caustique, les illustrations choisies, le tout si bien écrit! Hâte aussi de lire la suite!
RépondreEffacerOlivier
Quand la vie nous donne des coups de pied, vaut mieux essayer d'en rire! Merci de lire En direct de l'intestin grêle .
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