Publié tous les week-ends/ Published every weekend
Ne serait-il pas merveilleux si ces histoires étaient vraies? Malheureusement (ou heureusement) ce n'est pas le cas. Elles ne sont que le fruit de mon imagination fertile. Tous les personnages et les événements décrits sont fictifs et si vous croyez vous reconnaître ou reconnaître une de vos connaissances, ce n'était pas mon intention et ce n'est qu'une coïncidence. J'espère que ce blogue vous plaira. N'hésitez pas à en faire circuler le lien où vous vous promenez sur l'Internet et à laisser des commentaires ci-dessous. J'aime bien entendre parler de vous.
Geoffroy
2014-03-28
Chronique hospitalière IV : Des civières dans l’aire
Le présent récit fait partie d'un feuilleton. Vous pouvez lire le premier épisode et suivre l'hyperlien à la fin de chaque billet pour lire la suite.
Un hôpital est un univers rempli d’appareils étranges et peuplé de gens mystérieux parlant un langage incohérent. Je n’y étais que depuis quelques heures et déjà on avait vérifié mes signes vitaux – sans doute pour s’assurer que j’étais toujours vivant. On m’avait ensuite encubé et j’étais maintenant poussé par un brancardier à travers un dédale de couloirs vers une « aire de civières ».
L’aire des civières était en fait une grande salle carrée du service des urgences où l’on gare les patients en attendant d’établir un diagnostic ou qu’un lit de l’hôpital se libère pour les accueillir. Tout le long des murs phériphériques, une vingtaine de modules étaient aménagés pour chacun accueillir deux civières séparées par un mince rideau. On y trouvait également cinq chambrettes vitrées servant à isoler les patients contagieux et les agonisants.
Ma voisine de module, une femme de 42 ans, infortunée victime du sport, s’était fracturé la colonne vertébrale en sautant une mauvaise bosse en toboggan avec ses enfants.
« Bonjour, je m’appelle Florence et je suis l’infirmière qui vous a été assignée. Avez-vous mal? À combien évaluez-vous votre douleur? »
Dérouté par cette question et sans doute rendu confus par la souffrance, je me suis demandé un moment si je devais « évaluer ma douleur » en dollars canadiens ou en dollars américains.
« Sur une échelle de zéro à dix, à combien évaluez-vous votre douleur? » précisa l’infirmière.
« J’ai très mal », balbutiai-je finalement.
« Très bien, disons huit. Je vais vous apporter un analgésique. Si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas à sonner », dit-elle avant de disparaître avec ses appareils.
La douleur était intolérable, le moindre mouvement m’arrachait des gémissements qui s’ajoutaient à ceux de ma voisine de module et des autres patients de l’aire de civières pour former un concert de lamentations inlassablement ponctué par les sonnettes et les avertisseurs des appareils de contrôle.
Au bout d’une heure, n’en pouvant plus d’attendre l’analgésique promis par Florence, je me souvins du flacon d’ibuprofène que j’avais apporté dans mon sac. J’en avalai deux comprimés et sombrai dans un sommeil agité.
« Monsieur, monsieur! Réveillez-vous! Je vous ai apporté votre analgésique! »
C’était Florence, mon infirmière, qui me tendait deux cachets d’acétaminophène et un verre d’eau.
« Qu’avez-vous là? Qui vous a donné cette médication? » dit-elle en s’emparant de l’anti-inflammatoire.
« Personne, répondis-je, il s’agit du médicament que je prenais à la maison pour apaiser ma douleur et réduire l’enflure. »
« Et ce médicament vous a-t-il été prescrit par votre médecin? »
« Pas du tout, ce sont des pilules en vente libre, on peut les acheter dans n’importe quelle pharmacie et elles me soulagent », répliquai-je.
« Monsieur, vous ne pouvez pas prendre de médicaments qui ne sont pas prescrits par un médecin. Je dois rapporter cet incident, excusez-moi. »
Sur ce, elle s’éclipsa, emportant mes précieux anti-inflammatoires et l’analgésique qu’elle venait de me tendre.
Stupéfait de me voir confisquer mon remède, je réussis avec peine à me rendormir.
Quand je me réveillai, un petit bonhomme joufflu et barbichu avec un air de farfadet était assis au pied de ma civière et me tapotait la jambe.
« Bonjour, comment allez-vous aujourd’hui », me dit le personnage.
Encore engourdi par le sommeil, j’avais l’impression que, par je ne sais quel sortilège, je me retrouvais sur la Terre du Milieu et qu’à tout moment, Gandalf le Gris et Frodon Sacquet apparaîtraient pour m’entraîner dans une épopée fantastique.
« Pas très bien, mais qui êtes-vous? », demandai-je au gnome.
« Je suis le docteur Ogham, neurologue. Racontez-moi en quel honneur vous vous êtes retrouvé à l’hôpital. »
Une fois de plus, j’exposai l’invraisemblable récit de ma goutte qui s’était transformée en entorse du genou puis en paralysie. Pendant ce temps, le lutin palpait mes genoux, mes poignets et mes mains en prenant quelques notes et en me demandant de fléchir mes membres.
« Je vois, je vois, dit le médecin, mais pour mieux voir, il serait préférable de vous passer au tomodensitomètre, faire une IRM, un EMG, des rayons X... Je vais vous arranger ça. »
Sur ces mots, le docteur se retira, me laissant pantois devant la langue hermétique des professionnels de la santé.
Une heure plus tard, un brancardier venait me chercher pour m’emmener au service de médecine nucléaire pour me faire irradier par un tomodensitomètre à positrons.
Finalement, le brancardier poussa ma civière dans une pièce où le docteur Ogham allait me faire un électromyogramme, une méthode de diagnostic consistant à appliquer des chocs électriques à différents nerfs au moyen d’aiguilles branchées à une source d’électricité afin de faire réagir les muscles.
Allongé sur la table d’examen pendant que le neurologue me transperçait d’aiguilles, je me sentais comme une poupée vaudou destinée à envoûter un quelconque personnage politique.
« Étrange, très étrange. Les muscles répondent bien au stimulus, pensa à voix haute le praticien, il ne semble pas s’agir d’un trouble neurologique, tout fonctionne normalement. »
De retour à l’aire des civières, j’engageai la conversation avec ma voisine. En discutant de nos afflictions j’appris qu’elle attendait qu’on lui fabrique un appareil orthopédique pour immobiliser sa colonne vertébrale, ce qui lui permettrait de s’asseoir et de bouger sans risquer de se blesser davantage.
« De toutes façons, dit-elle, on ne peut me garder plus de 48 heures à l’urgence. »
« Et pourquoi donc, lui demandai-je? »
« C’est la limite imposée par le ministère de la santé. En cas de dépassement, l’hôpital est frappé d’une forte amende, il a donc intérêt à me trouver un lit rapidement. »
La nuit était tombée. Immobile sur mon grabat, frissonnant, je sentais la douleur envahir à nouveau mes articulations. Que n’aurais-je donné pour retrouver ma bouteille d’ibuprofène saisie par l’infirmière!
Pitoyablement, j’appuyai sur le bouton de la sonnette dont le fil était noué à l’une des barrières de ma civière. Le tintamarre des avertisseurs faisait rage dans l’aire des civières accentuant le rythme des geignements des malades, des blessés et des mourants. Abattu, je m’abandonnai à un sommeil tourmenté en attendant qu’une infirmière daigne m’apporter les drogues pouvant calmer mon mal.
Lisez la suite de ce feuilleton dans Chronique hospitalière V : Le goéland
2014-03-16
Chronique hospitalière III : L’encubé
Le présent récit fait partie d'un feuilleton. Vous pouvez lire le premier épisode et suivre l'hyperlien à la fin de chaque billet pour lire la suite.
Campé dans un fauteuil roulant au service des urgences de l’hôpital, j’ai vite appris pourquoi on appelle les gens hospitalisés des « patients ». La patience est une vertu qui consiste à savoir attendre en silence et avec résignation.
Malheureusement, la jeune femme assise devant moi n’avait pas compris cette réalité. Le téléphone solidement collé à l’oreille, elle déblatérait contre l’ineptie du système de santé.
« Ça fait cinq heures que j’attends! J’ai la tête qui éclate depuis qu’ils m’ont fait ces injections la semaine dernière et je pars pour la Thaïlande dans deux jours! Pourquoi n’y a -t-il personne pour s’occuper de moi? Ne se rendent-ils pas compte que c’est une urgence? »
En me conduisant à l’hôpital, Lucide avait tenté de me rassurer quant à la durée du séjour qui m’attendait en m’expliquant la différence entre un régime de soins de santé public et un système privé.
« Dans un système de santé privé, les patients sont des sources de revenu tandis que dans un système public – comme celui que nous avons au Canada – ils ne sont que des dépenses. Il est donc dans l’intérêt du système public de te soigner et de te renvoyer rapidement chez toi pour guérir. Tu verras, en deux temps trois mouvements tu seras sur pied et de retour dans ton appartement où tu pourras faire le ménage. »
J’aurais aimé partager l’optimisme de mon amie, mais j'avais deviné que l’attente pourrait être longue au service d’urgence, c’est pourquoi j’ai demandé à Lucide de me préparer un petit en-cas avant de partir de chez moi. Dans le sac que je portais se trouvaient donc un sandwich, des pommes, une orange, des biscuits, une bouteille d’eau, deux paquets de cigarettes et un flacon d’ibuprofène, l’anti-inflammatoire qui rendait mes douleurs supportables.
La voyageuse pour la Thaïlande souffrant de migraines faisait furieusement les cent pas en fulminant quand on m’appela sur l’interphone.
Avec peine, je poussai mon fauteuil roulant jusqu’à un bureau ou m’attendait une infirmière qui voulait vérifier mes « signes vitaux ». Il me fallut un moment pour comprendre qu’elle voulait mesurer ma pression artérielle et prendre ma température.
« Pas tout de suite. Nous sommes débordés en ce moment. Nous vous appelerons pour vous dire dans quel cube vous devrez vous rendre. »
« Un cube? » lui demandai-je, perplexe.
« C’est ainsi que nous appelons les salles d’examen. Maintenant, si vous voulez bien retourner dans la salle d’attente, j’ai d’autres patients à voir. »
La perspective de me faire encuber à l’hôpital ne me souriait guère. Pourtant, au bout de dix heures, on m’appela pour me rendre au cube 67. Pendant cette période, plusieurs patients – dont la migraineuse qui voulait partir pour la Thaïlande – avaient quitté le service des urgences, lassés d’attendre, sans avoir vu de médecin.
ma crise de goutte, le diagnostic d’entorse avec déchirure ligamentaire, les longues semaines passées au lit à la maison, la paralysie.
Elle voulut m’examiner et, pour ce faire, dut appeler deux préposés qui m’ont soulevé de mon fauteuil roulant et placé sur un lit. Avec effort, j’enlevai ma veste et ma chemise et on me fit enfiler une blouse ouverte dans le dos et attachée à la nuque par un cordon. Après avoir tâté mes genoux, mes mains, mes poignets et mes bras, l’urgentologue quitta le cube sans mot dire.
Je l’entendais s’entretenir avec un homme de l’autre côté de la porte :
« Il a la cinquantaine avancée, il a de la difficulté à marcher et à bouger, je me demande si... » dit-elle.
« Tous les symptômes sont là, il pourrait s’agir d’une sténose spinale », raisonna l’homme
« C’est bien ce que je pensais », répondit-elle.
Ce sont les derniers mots que je l’entendis prononcer et je ne devais plus jamais la revoir.
Au bout d’une demi-heure, une infirmière portant un panier de plastique rempli de fioles et d’étiquettes entra dans le cube.
« Je dois faire une prise de sang, me dit-elle. Retroussez votre manche s’il-vous plaît. »
Sans enthousiasme, je me pliai à ce rite sacrificiel. Après qu’elle eut rempli de mon sang 31 ampoules, l’infirmière s’éclipsa.
Je me retrouvais seul dans mon cube, assis sur un matelas de mousse recouvert de similicuir glissant. J’avais froid, j’avais mal aux bras, aux épaules et aux jambes. J’ignorais ce qui adviendrait de moi. Je ne savais pas ce qu’était une sténose spinale et j’avais peur.
Quand je me réveillai, un homme vêtu d’un uniforme beige s’apprêtait à me transférer sur une civière. Je l’observai mettre mes vêtements, mon sac et mes chaussures sous la litière sur laquelle il me fit ensuite glisser avec une grande délicatesse.
Il ouvrit la porte du cube et poussa dans le couloir la civière où j’étais étendu. Quand je lui ai demandé où il m’emmenait, il me répondit :
« Où je vous emmène? Mais à l’aire des civières, bien entendu! »
Lisez la suite de ce récit dans Chronique hospitalière IV : Des civières dans l'aire
Labels:
anatomie,
Canada,
cigarette,
économie canadienne,
hôpital,
hygiène,
nourriture et cuisine,
politique canadienne,
santé,
science,
tabac,
vie moderne,
voyages
2014-03-10
Chronique hospitalière II : La luciole
Le présent récit fait partie d'un feuilleton. Vous pouvez lire le premier épisode et suivre l'hyperlien à la fin de chaque billet pour lire la suite.
Je ne sais pas si ça n’arrive qu’à moi, mais chaque fois que je vais consulter un médecin celui-ci finit toujours par me faire des recommandations qui n’ont rien à voir avec l’objet de ma visite.
Passe encore qu’il m’exhorte à cesser de fumer, une chose qui m’exaspère particulièrement c’est quand il m’avertit qu’il faut que je perde du poids.
C’est exactement ce que le bon docteur qui m’avait diagnostiqué une entorse du genou m’a dit. Je quittai son officine irrité mais déterminé à lui rabattre le caquet.
Pour maigrir, il suffit de suivre un régime alimentaire équilibré. Oubliez les abonnements aux gymnases et autres clubs de conditionnement physique. Ces établissements peuvent certainement vous donner du tonus et affermir vos chairs, mais si vous souhaitez affiner votre silhouette, il vous faudra vraiment faire beaucoup d’exercice. Malheureusement, plus on fait de l’exercice plus on risque de se blesser.
Selon une étude canadienne, 40,2 % des gens âgés de 20 à 64 ans qui se sont blessés au Canada en 2009-2010 l’ont été en faisant du sport, de l’exercice ou en marchant, comparativement à seulement 16,5 % qui ont subi une blessure en travaillant. Certains pourraient dire que cela démontre que le travail c’est la santé. |
Au Canada, la clé de l’alimentation équilibrée se trouve dans le Guide alimentaire canadien publié par Santé Canada. Ce guide est essentiellement basé sur quatre groupes alimentaires : les fruits et légumes, les céréales et féculents, les produits laitiers et la viande et autres sources de protéines.
Dans le Guide alimentaire, on explique ce qui constitue une portion type pour chaque groupe alimentaire. Il ne s’agit plus ensuite que de déterminer combien de portions vous avez besoin quotidiennement en fonction de votre sexe et de votre âge et de tenir un registre de ce que vous consommez. Si vous vous en tenez au Guide, vous perdrez du poids rapidement et, en principe, sans risque pour votre santé.
C’est ce que je fis pendant que mon genou me faisait défaut et je maigris de 18 kilogrammes en trois mois. Encore 12 kilos à perdre et j’aurai atteint mon poids-santé et réduit mon médecin au silence.
Ma cure d’amaigrissement était pourtant loin dans mes pensées le matin où je me réveillai paralysé dans mon lit.
La situation aurait pu être dramatique si ce n’eut été d’un facteur jouant en ma faveur : il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir d’une vessie pleine.
Malgré la douleur, au bout d’une trentaine de minutes, je réussis à tourner la tête, puis à bouger les doigts, les poignets, les coudes, les jambes, pour finir par m’asseoir péniblement sur le bord du lit.
Après m’être soulagé dans mon vase de nuit improvisé, je fis le bilan de ma situation. Mon entorse n’était plus que le cadet de mes soucis. Mes déplacements étaient de plus en plus limités en raison de mes cruelles courbatures. Sortir de chez moi allait tenir du miracle. Mon réfrigérateur se vidait graduellement et, pis encore, j’allais bientôt être à court de cigarettes.
Je me situais au milieu du proverbial tunnel dans lequel je cherchais désespérément à trouver la lumière.
Tandis que je me morfondais devant ma situation, le téléphone sonna. C’était mon amie Lucide qui s’inquiétait et appelait pour prendre de mes nouvelles.
Je lui fis part de ma diminution physique et des problèmes que j’éprouvais pour m’approvisionner. Sans hésiter, elle me proposa de faire quelques courses pour me ravitailler et me dit qu’elle passerait le soir même à la maison, après le travail.
Dans l’obscurité de mon souterrain, une luciole venait d’apparaître pour me guider de sa lumière et m’aider à m’en sortir.
La luciole est un coléoptère de la famille des lampyridæ qui compte plus de 2 000 espèces. La plupart des femelles ne volent pas et ressemblent à leurs larves, d’où vient leur nom de « ver luisant ». |
Quand Lucide arriva chez moi les bras chargés de victuailles, elle subit un choc épouvantable. Ce n’était pas de voir son ami cloué au lit, estropié, qui la marqua autant que de constater le désordre qui régnait dans mon logement.
Confiné au lit depuis quelques semaines, les tâches ménagères n’occupaient plus la priorité dans ma vie. La vaisselle s’empilait sur le comptoir de la cuisine, le plancher était jonché d’objets que j’avais échappés et que j’étais incapable de ramasser parce que je ne pouvais plus me pencher, le linge sale s’amoncelait dans un coin de ma chambre et la poussière s’accumulait partout où elle pouvait étendre son emprise.
« C’est un vrai bordel chez toi! dit-elle en jetant sur mon lit les sacs qu’elle portait. Comment peux-tu faire pour habiter un endroit pareil? »
« Euh... M’as-tu apporté des cigarettes? »
« Elles sont là, dans le sac, répondit-elle distraitement en promenant son regard sur le fouillis de mon appartement. Tu as des sacs à ordures? »
« Dans l’armoire, sous l’évier », répondis-je en fouillant dans l’un des sacs à provisions pour trouver les cigarettes.
Lucide disparut dans la cuisine pendant que j’essayais d’ouvrir un paquet de cigarettes de mes doigts gourds. La pellicule de cellophane qui enveloppait le paquet me causait des problèmes, mes doigts avaient perdu toute leur dextérité.
Lucide revint dans la chambre avec son sac à ordure et, en voyant mes mains tremblantes se démener avec le paquet de cigarettes, elle s’exclama :
« Qu’est-ce que tu as aux mains? Regarde tes phalanges! Elles sont rougies et toutes enflées! Ton problème est plus grave qu’une entorse, tu dois voir un médecin. Allez, je t’emmène à l’hôpital! »
Avec peine, je commençai à m’habiller. J’avais vraiment perdu beaucoup de poids, mes vêtements étaient devenus trop grands pour moi. Je me sentais mal en point, faible et nerveux.
Il me fallut près d’une demi-heure pour réussir à me lever avec l’aide de Lucide. Quand je fis mes premiers pas en m’appuyant sur ma canne, j’avais l’impression que mes fémurs reposaient directement sur mes tibias, sans passer par mes rotules. La douleur cinglante me fit presque perdre connaissance.
J’habite au premier étage. Les 14 marches de l’escalier qui mène chez moi allaient être pour moi un véritable chemin de croix. À plusieurs reprises, je vins près de défaillir et dus m’asseoir pour reprendre mes esprits.
Nous étions en route pour l’hôpital, cet entrepôt où l’on entasse toute la misère du monde.
Lisez la suite de ce récit dans Chronique hospitalière III : L’encubé
2014-03-01
Chronique hospitalière I : la goutte qui fait déborder le vase
Aïe! Un élancement atroce me réveilla au milieu de la nuit.
C’était la quatrième fois depuis 30 ans que j’avais une crise de goutte. Je connaissais le refrain : une douleur aiguë à l’articulation du gros orteil qui se résorberait à coups de compresses de glace et d’anti-inflammatoires. J’en serais quitte pour flâner au lit quelques jours en relisant Guy de Maupassant.
Hélas! Après trois jours, bien que l’enflure ait diminué, j’avais toujours mal au pied et je me déplaçais en boitant. Ce n’était pourtant pas intolérable et je retournai au travail où m’attendait la révision d’un long rapport sur l’injection de nouveaux capitaux pour aider à cristalliser le système de santé publique canadien.
« La goutte? Tu te prends pour Molière maintenant? » se moqua mon ami Aaron quand il me vit au bureau.
J’essayai de lui expliquer que la goutte n’était pas une affliction désuète et que sa prévalence était actuellement à la hausse en Amérique, mais mon collègue ne m’écoutait plus : il se concentrait sur la cafetière qui crachotait avec peine un espresso récalcitrant dans sa tasse.
Je pris donc les deux semaines de vacances annuelles qui me restaient et continuai ma lecture des contes de Maupassant.
Mon congé forcé tirait à sa fin et je devais retourner au travail, mais mon genou me faisait toujours languir. Muni d’une canne, je retournai à la clinique où le médecin palpa brièvement mon genou tuméfié et opina immédiatement :
« Voilà un superbe cas d’entorse avec déchirure ligamentaire! Il vous faudra vous mettre au lit mon cher! Ne vous avais-je pas dit de prendre du repos? »
« Mais ça fait deux semaines que je suis à la maison! »
« Au lit? Non, non, mon ami, gardez le lit, la jambe surélevée, appliquez des compresses de glace quatre fois par jour et je vous prescris des anti-inflammatoires pour apaiser le mal. »
L’ordonnance en main, j’appelai un taxi pour me conduire à la pharmacie tout en pensant que, ayant épuisé mes vacances annuelles, je devrais dorénavant prendre des congés sans solde pour me soigner.
Le chauffeur de taxi était loquace et, voyant ma canne, me demanda ce qui m’était arrivé.
« Oh, ce n’est rien, une vilaine entorse au genou » répondis-je.
« Vous devriez cesser de fumer! » observa-t-il.
Peu impressionné par la sagesse populaire du gaillard, je ne pouvais qu’être sidéré par le succès de la publicité anti-tabac mise de l’avant par l’État, le corps médical et l’industrie pharmaceutique et qui permet de porter tous les maux de la Terre au compte de la consommation de cigarettes.
Je me retrouvais donc au lit à nouveau, déterminé cette fois à venir à bout de ma foulure qui commençait à me coûter cher. Je ne me levais qu’une fois par jour pour aller à la toilette et me préparer de simples repas que je mangeais allité.
Mon alimentation était frugale et consistait principalement en sandwiches, en fruits et légumes frais, en céréales, en fromage, en biscuits secs et en eau. À l’aide d’une lame de rasoir, je modifiai une bouteille de deux litres de boisson gazeuse pour m’en faire un pot de chambre afin de limiter mes déplacements.
Je réussissais à me tirer hors du lit à l’aide d’une courroie attachée à la porte de ma chambre et d’un tabouret sur lequel je me soulevais avec mon coude. De jour en jour cependant, le trajet entre ma chambre, la salle de bain et la cuisine devenait de plus en plus pénible.
Un matin je me réveillai étendu sur le dos, les bras écartés, complètement paralysés.
Je suis sûr que c’était la première fois dans l’histoire de la médecine moderne qu’une crise de goutte se transformait en entorse du genou pour finir par se propager au torse et aux membres supérieurs d’un individu.
C’est à ce moment que je compris que j’avais vraiment besoin d’aide.
La suite de ce récit dans Chronique hospitalière II : La luciole.
C’était la quatrième fois depuis 30 ans que j’avais une crise de goutte. Je connaissais le refrain : une douleur aiguë à l’articulation du gros orteil qui se résorberait à coups de compresses de glace et d’anti-inflammatoires. J’en serais quitte pour flâner au lit quelques jours en relisant Guy de Maupassant.
Hélas! Après trois jours, bien que l’enflure ait diminué, j’avais toujours mal au pied et je me déplaçais en boitant. Ce n’était pourtant pas intolérable et je retournai au travail où m’attendait la révision d’un long rapport sur l’injection de nouveaux capitaux pour aider à cristalliser le système de santé publique canadien.
« La goutte? Tu te prends pour Molière maintenant? » se moqua mon ami Aaron quand il me vit au bureau.
J’essayai de lui expliquer que la goutte n’était pas une affliction désuète et que sa prévalence était actuellement à la hausse en Amérique, mais mon collègue ne m’écoutait plus : il se concentrait sur la cafetière qui crachotait avec peine un espresso récalcitrant dans sa tasse.
Je pris donc les deux semaines de vacances annuelles qui me restaient et continuai ma lecture des contes de Maupassant.
Mon congé forcé tirait à sa fin et je devais retourner au travail, mais mon genou me faisait toujours languir. Muni d’une canne, je retournai à la clinique où le médecin palpa brièvement mon genou tuméfié et opina immédiatement :
« Voilà un superbe cas d’entorse avec déchirure ligamentaire! Il vous faudra vous mettre au lit mon cher! Ne vous avais-je pas dit de prendre du repos? »
« Mais ça fait deux semaines que je suis à la maison! »
« Au lit? Non, non, mon ami, gardez le lit, la jambe surélevée, appliquez des compresses de glace quatre fois par jour et je vous prescris des anti-inflammatoires pour apaiser le mal. »
L’ordonnance en main, j’appelai un taxi pour me conduire à la pharmacie tout en pensant que, ayant épuisé mes vacances annuelles, je devrais dorénavant prendre des congés sans solde pour me soigner.
Le chauffeur de taxi était loquace et, voyant ma canne, me demanda ce qui m’était arrivé.
« Oh, ce n’est rien, une vilaine entorse au genou » répondis-je.
« Vous devriez cesser de fumer! » observa-t-il.
Peu impressionné par la sagesse populaire du gaillard, je ne pouvais qu’être sidéré par le succès de la publicité anti-tabac mise de l’avant par l’État, le corps médical et l’industrie pharmaceutique et qui permet de porter tous les maux de la Terre au compte de la consommation de cigarettes.
Je me retrouvais donc au lit à nouveau, déterminé cette fois à venir à bout de ma foulure qui commençait à me coûter cher. Je ne me levais qu’une fois par jour pour aller à la toilette et me préparer de simples repas que je mangeais allité.
Mon alimentation était frugale et consistait principalement en sandwiches, en fruits et légumes frais, en céréales, en fromage, en biscuits secs et en eau. À l’aide d’une lame de rasoir, je modifiai une bouteille de deux litres de boisson gazeuse pour m’en faire un pot de chambre afin de limiter mes déplacements.
Je réussissais à me tirer hors du lit à l’aide d’une courroie attachée à la porte de ma chambre et d’un tabouret sur lequel je me soulevais avec mon coude. De jour en jour cependant, le trajet entre ma chambre, la salle de bain et la cuisine devenait de plus en plus pénible.
Un matin je me réveillai étendu sur le dos, les bras écartés, complètement paralysés.
Je suis sûr que c’était la première fois dans l’histoire de la médecine moderne qu’une crise de goutte se transformait en entorse du genou pour finir par se propager au torse et aux membres supérieurs d’un individu.
C’est à ce moment que je compris que j’avais vraiment besoin d’aide.
La suite de ce récit dans Chronique hospitalière II : La luciole.
S'abonner à :
Messages (Atom)