Je suis convaincu que la langue a inventé les superlatifs pour tromper l’ennui, pour susciter un émoi. C’est ainsi qu’on parle de la voiture la plus rapide, du sommet le plus élevé, du chef d’État le plus malhonnête, mais doit-on dire « du monde » ou « au monde »?
J’ai eu cette discussion avec des collègues dernièrement et, après délibérations, nous en sommes arrivés à la certitude qu’il existe une infinité de façons de couper les cheveux en quatre.
Cet incident me rappela l’époque où j’étais toujours marié. Mon épouse était l’une de ces personnes nées pour conduire une auto. Elle adorait prendre la route et profitait de la moindre occasion pour sauter dans la voiture et partir à la découverte.
Par un beau dimanche de fin d’été nous sommes donc allés nous balader à la campagne.
Ma femme était au volant, les champs, les bois et les troupeaux de bovins défilaient à droite et à gauche, j’étais plongé dans mes rêveries, la vie était belle et il faisait bon vivre. En passant par un village célèbre pour le fromage en grains qu’on y fabrique, nous avons décidé d’arrêter afin d’y goûter la spécialité locale.
Ma femme voulut immédiatement voir cette attraction et comme celle-ci ne se trouvait qu’à quelques kilomètres, nous nous mîmes en route.
L’endroit se situait au bout d’un chemin de terre anonyme. La piscine était en fait trois bassins de pierre communicants au pied d’un rocher d’où s’écoulait paresseusement une source. Le fond des bassins de différentes profondeurs avait été peint turquoise pour donner l’apparence d’une piscine artificielle. La dimension de l’ensemble était beaucoup plus petite que celle d’une piscine olympique.
L’été avait été torride et les précipitations plus faibles que la normale. La source, au lieu de jaillir avec effervescence, ne laissait plus couler qu’un lamentable filet. Le bassin le plus petit était vide et le plus profond ne contenait que moins d’un mètre d’une eau rendue glauque et gluante par les algues que le soleil avait fait proliférer.
Cela n’empêchait pas une multitude d’enfants d’y patauger bruyamment sous les regards de parents avachis dans les chaises longues qui entouraient le bassin.
Je fis remarquer à mon épouse qu’il s’agissait de l’endroit parfait pour attraper une dermatose qui aurait rendu la peau de ces bambins plus coriace que le cuir de Big Joe, le plus gros alligator de Floride que nous avions vu près de Fort Myers.
À ce moment, un homme vêtu d’un T-shirt usé à l’effigie d’Elvis Presley et d’un short kaki maculé dont la fermeture éclair béait périlleusement s’approcha de nous.
— Bienvenue dans notre petit coin de paradis! Vous cherchez un endroit pour installer votre caravane?
— Euh... non, nous sommes seulement venus voir la plus grande piscine du monde, répondis-je avant d’être interrompu par mon épouse.
— Oh! Il y a un terrain de camping? On peut le voir?
— Oui, derrière ce boisé, répondis l’homme en pointant du doigt vers un bosquet. Je peux vous faire visiter si vous voulez.
— Oh! Ça me ferait tant plaisir! On y va mon chéri? me dit-elle en prenant le bras de notre guide improvisé.
À contre-cœur je les suivis sur le sentier traversant un sous-bois de bouleaux et de trembles.
Un chemin sinueux qui faisait une boucle pour revenir sur lui-même courait sur le terrain de camping. Des caravanes de toutes tailles étaient éparpillées le long de l'allée, la majorité en permanence, certaines depuis des décennies semblait-il.
Au centre de la boucle, il y avait un grand urinoir de porcelaine orné de fleurs en plastique où nichait, comme dans une grotte, une statue de la Vierge Marie. Celle-ci avait les bras ouverts, tendus, comme si, découragée, elle déclinait toute responsabilité concernant le tohu-bohu dans lequel elle se retrouvait.
Notre guide expliquait toutes les subtilités du caravaning à mon épouse qui l’écoutait docilement en posant des questions de temps en temps. Le bonhomme se réjouissait d’avoir trouvé un public et se balançait de joie sur les talons, un tic qui entrouvrait davantage sa braguette, à mon grand désespoir.
Puis il nous invita à prendre un café dans sa roulotte. Ma femme accepta son hospitalité même si je n’y tenais guère et nous nous dirigeâmes vers le domicile du personnage.
L’habitation était à l’image du compère : débraillée et vulgaire. Quand il s’avéra que la porte était bloquée et que le bougre se mit à s’acharner pour l’ouvrir, l’échancrure de la fermeture à glissière brisée de son short bâilla plus que jamais et, à ma répugnance, je vis « Elvis » quitter le bâtiment.
C’en était trop. Je pris ma femme par le bras, remercia notre hôte et, prétextant une longue route, nous avons fui cet endroit où j’avais vu tout ce que j’aurais préféré ne jamais voir.
Tordant! "Elvis quitta le bâtiment"! Ouachhhh! lol!
RépondreEffacerJ. R. via email
Trop drôle!
RépondreEffacerJ.D. via email
Excellent !!! Es-tu certain que toutes les histoires ne sont que le fruit de ton imagination fertile?
RépondreEffacerDisons que je suis déjà allé me promener en voiture avec ma femme, mais que je n'ai jamais vu Elvis! Merci de lire En direct de l'intestin grêle.
EffacerGeoff