Régulièrement, des inforobots russes viennent indexer mes blogues, ce qui me rappelle curieusement le début de ma carrière de rédacteur et de réviseur.
Au début des années 1980, le Canada était en pleine récession, le taux de chômage avait monté en flèche et je me suis retrouvé sans emploi. Le moment était donc idéal pour retourner sur les bancs d’école en espérant de meilleurs débouchés à la fin de mes études.
Les frais de scolarité étaient élevés à l’université et je devais me contenter de boulots précaires à temps partiel pour survivre, ce qui m’obligeait à habiter un logement misérable et à me serrer la ceinture. J’étais sans le sou et je m’endettais.
Ma situation n’était pas unique; depuis toujours, bien des étudiants doivent composer avec de telles conditions qui, je dois l’avouer, aident souvent à former le caractère.
Après avoir obtenu mon diplôme, je pensais naïvement que le temps des emplois méprisables était révolu. J’étais instruit, j’avais acquitté le tribut exigé par mon alma mater, je m’attendais maintenant à pouvoir en récolter les fruits.
Hélas, je me suis vite aperçu que les employeurs n’étaient guère impressionnés par ma réussite universitaire : ils cherchaient des candidats possédant diplôme ET expérience.
Le Canada se relevant péniblement de la crise économique et personne ne voulant m’embaucher, j’ai dû me tourner vers la pige.
J’ai d’abord rédigé des dissertations pour des étudiants qui n’avaient pas la discipline pour assister à leurs cours, mais qui ne voulaient pas non plus briser le cœur de leurs parents par un échec académique.
En connaissant le nom du professeur de mes clients, le sujet de la dissertation, la bibliographie et le syllabus du cours, en deux jours je pouvais pondre un document acceptable de 15 pages en lettres, en sciences sociales et en sciences humaines.
J’allais d’abord à la bibliothèque de l’université pour consulter la thèse de doctorat du professeur afin d’avoir une idée de sa personne, de ses croyances et de son style. Je prenais bien sûr en note les idées recyclables qui serviraient à flatter la vanité du maître.
Le cours de lecture rapide que j’avais suivi un été s’est avéré ainsi un excellent placement.
Je rédigeais ensuite sans arrêt pendant quinze heures en incluant toutes les connaissances générales pertinentes que je pouvais posséder.
Sans avoir jamais assisté à aucun de ces cours, je n’ai jamais obtenu une note inférieure à « B » et mes clients satisfaits ont commencé à faire circuler mon nom parmi leurs fainéants camarades.
Malheureusement, ce genre d’écrivaillerie n’est profitable qu’autour de la mi-session ou en fin de session.
Un soir que j’attendais un client au café de l’université, j’ai fait la connaissance d’une étudiante adulte qui suivait des cours de russe et travaillait au service de presse de l’ambassade de l’Union soviétique. Nous nous sommes liés d’amitié et, après l’avoir rencontrée quelques fois et qu’elle sût la nature de mes activités professionnelles, elle m’a demandé si je serais intéressé par un poste de rédacteur-réviseur auprès de son employeur.
Bien entendu, l’idée de travailler dans ce qui pourrait s’avérer un nid d’espions me préoccupait certainement. À cette époque, voyez-vous, la guerre froide faisait toujours rage.
Fiodor Dostoïevski et sympathisait avec la classe ouvrière dans la mesure où elle payait son loyer à temps.
L’entrevue que m’a donnée l’attaché de presse s’est bien passée et il m’a offert un emploi à temps partiel à titre de réviseur.
Le service de presse de l’ambassade de l’URSS occupait deux logements contigus au 15e étage d’un grand immeuble résidentiel. L’ameublement consistait principalement en tables et en chaises dépareillées croulant sous des piles de papiers et de publications. La table qui m’a été assignée faisait face à une grande fenêtre avec vue splendide sur la ville.
Mon travail consistait à remanier des articles rédigés à Moscou pour les rendre publiables dans la presse canadienne.
Je ne sais pas si cette méthode a toujours cours, mais à cette époque, les auteurs russes étaient payés à la page : plus long était leur texte, plus élevé était leur revenu.
Quand on sait cela, tout à coup on comprend Guerre et paix et Les Frères Karamazov.
Les écrits que je devais réviser étaient traduits du russe au français ou à l’anglais. Malheureusement, les traducteurs étaient aussi payés à la page, donc des articles déjà verbeux et insipides prenaient de l’expansion par cette transsubstantiation. J’ai vite appris à transformer une loghorrée de 4 000 mots en précis de 300 mots assez acceptable.
Je dis « assez acceptable » parce qu’il était souvent ardu de captiver l’intérêt d’un auditoire en raison du sujet des textes qui m’étaient confiés. La presse canadienne ne se souciait guère du komsomol (organisation des jeunesses communistes) ni de l’utilisation des pesticides pour faire valoir la réforme agraire au Turkménistan, l’une des républiques soviétiques et neuvième plus grand producteur de coton au monde.
De temps à autres toutefois, des sujets intéressants se dégageaient. Des articles concernant le programme spatial soviétique, la recherche médicale ou les merveilles naturelles comme le lac Baïkal pouvaient être remodelés pour parution dans les médias canadiens.
Les mois passaient et, un jour, en regardant par la fenêtre, j’ai remarqué que des grues avaient poussé entre les gratte-ciel à l’horizon. L’industrie de la construction se relevait, signe indéniable que l’économie avait repris son souffle.
Un matin, 18 mois après mon embauche par les Russes, l’attaché de presse m’a appelé dans son bureau pour me dire combien il était satisfait de mon travail. Toutefois, ses supérieurs avaient décidé de moderniser les méthodes de travail; les machines à écrire allaient être remplacées par des ordinateurs. Il fallait réaliser des économies ailleurs. Par cet euphémisme, j’apprenais que j’allais être mis à pied.
Au cours de cette année et demie cependant, ma situation de pigiste s’était améliorée. Je n’écrivais plus de dissertations pour les étudiants. J’avais acquis une expérience précieuse et certains de mes clients, apprenant ma nouvelle disponibilité, augmentèrent ma charge de travail.
Ma carrière pouvait démarrer.
C'est le droit qu'on enseignait à l'Université de Bologne? he he… Merci de partager le fruit de tes entrailles ainsi.
RépondreEffacerC. T. via email
Tout le plaisir est pour moi. Je ressens un grand soulagement quand mes lecteurs comprennent et apprécient mes facéties.
EffacerGeoffroy