Ce jeudi-là, après m’être levé, avoir pris une douche et m’être habillé, je suis allé à la cuisine pour déjeûner. Ma petite amie faisait la gueule devant son bol de céréales.
Je lui ai donné un baiser sur la joue et, comme je m’asseyais devant elle avec mes toasts, elle continuait de regarder devant elle, le regard vide.
« Qu’est-ce qui se passe, mon amour? » lui demandai-je.
Elle ne répondit pas. Je ramassai le journal sur la table et c’est alors que j’ai tout compris. En première page, en caractères gras, je lus :
Le ministre canadien de la Défense épouse une princesse persane
Il semble que, pendant que ma petite amie et moi dormions, Peter MacKay, un homme d’action, eusse épousé sa fiancée d’origine iranienne, Nazanin Afshin-Jam, au Mexique, le pays de La Cucaracha.
Personne n’ignore que toutes les Canadiennes entretiennent des pensées lubriques à l’égard de Peter MacKay, « le député le plus sexy à la Chambre des communes ». Ce jour-là, leurs rêves venaient de s’effondrer.
J’étais au courant des fantasmes de ma petite amie, mais je n’étais pas jaloux, en autant que MacKay ne rode pas autour de chez moi (à moins que ce ne soit pour tondre la pelouse, ramasser les feuilles mortes ou sortir les poubelles). Je suis un homme sensible cependant et le chagrin de ma douce ne me laissait pas indifférent.
Peter MacKay, le député du comté de Central-Nova en Nouvelle-Écosse, est le mâle par excellence. Il est avocat, il joue au rugby avec ses copains, il adore le plein-air et la compagnie de son chien Jack, un bouvier bernois. Il fréquente des soldats qui, selon la presse, n’hésitent pas une seconde à aller le ramasser dans des coins de pêche reculés à Terre-Neuve-et-Labrador avec des hélicoptères de recherche et de sauvetage.
À titre de ministre de la Défense nationale et d’ancien ministre des Affaires étrangères, deux des postes les plus influents du Cabinet fédéral, Peter MacKay a droit au respect.
Par le passé, les médias ont lié M. MacKay à des femmes, toutes jolies et puissantes, comme l’ancienne secrétaire d’État américaine, Condoleezza Rice, et Belinda Stronach, la fille du magnat de l’industrie de la fabrication des pièces d’automobiles au Canada.
Belinda Stronach et Peter MacKay étaient députés du Parti conservateur. En 2005, juste avant la tenue d’un vote crucial pour le gouvernement libéral minoritaire, Stronach a changé de camp, ce qui a permis au gouvernement libéral de conserver le pouvoir pendant encore quelques mois. Peter MacKay, un Conservateur convaincu, n’en avait été averti que quelques heures à l’avance. Il avait été dévasté.
Le cœur brisé et abattu par cet événement imprévu, Peter MacKay a été photographié le lendemain, chez lui, en Nouvelle-Écosse, en compagnie de son chien, le plus fidèle ami de l’homme.
Mais tout ça, c’est le passé. Maintenant, M. MacKay a une nouvelle et brillante épouse. Nazanin Afshin-Jam est diplômée en Relations internationales et en Sciences politiques et détient une maîtrise en Diplomatie internationale. Elle est également généreuse. Elle milite pour les droits de la personne et a mené avec succès une campagne pour obtenir la libération et l’amnistie d’une jeune Iranienne accusée d’avoir poignardé un homme qui avait tenté de la violer. Elle est actrice, mannequin, chanteuse, sans oublier ancienne détentrice du titre de Miss Canada Monde.
On me dit qu’elle possède également un permis de piloter. Si elle apprend un jour à piloter un hélicoptère Sea King, tous les contribuables canadiens lui en seront éternellement reconnaissants.
L’hélicoptère Sikorsky S-61 Sea King a été conçu à la fin des années 1950 pour faire la chasse aux sous-marins. On a constaté plus tard qu’il était également tout à fait adéquat pour les missions de recherche et de sauvetage. Image: Tom Curtis / FreeDigitalPhotos.net
Ma petite amie avait le cœur gros et je la quittai avec regret pour aller travailler. Pour sa part, elle était tellement bouleversée qu’elle avait pris congé pour la journée.
Au bureau, tout le monde parlait du mariage de Peter Mackay. Les femmes étaient en deuil ou tout simplement en furie, tandis que les hommes se réjouissaient de ne plus avoir à se demander si leurs femmes fantasmaient à propos d’un avocat de la Nouvelle-Écosse pendant qu’ils leur faisaient l’amour.
J’ai téléphoné à la maison une ou deux fois pendant la journée pour essayer de relever le moral de ma petite amie. À l’autre bout du sans-fil, elle était mélancolique.
En revenant d’une pause-cigarette, un gardien me confia qu’il croyait que Peter MacKay était un poseur.
« Qu’est-ce qui vous fait dire ça? » lui demandai-je.
« Quand Belinda l’a largué, vous vous souvenez de la photo qu’on a publié de MacKay avec son chien? » répondit-il.
« Bien sûr, tout le monde s’en souvient! » remarquai-je.
« Eh bien, ce n’était pas son chien. C’est un chien qu’il avait emprunté pour la photo. La photo était arrangée pour que les gens aient pitié de lui! »
Je suis retourné à mon bureau en me demandant si c’était vrai, étonné que quelqu’un puisse être aussi tordu.
À la maison, j’ai trouvé ma petite amie les yeux rougis, toujours en robe de chambre. En préparant le dîner, j’ai vu que, pendant la journée, elle avait mangé toute la crème glacée. Ma gorge se noua et les larmes me montèrent aux yeux tandis que je ressentais la douleur que pouvait ressentir ma maîtresse.
Ça ne pouvait pas durer, je devais faire quelque chose.
Après dîner, nous avons commencé à regarder la reprise d’une comédie à la télé. Nous étions serrés l’un contre l’autre, mais ma petite amie ne portait pas attention à l’émission. J’ai décidé d’intervenir.
« Tu sais la photo de Peter MacKay avec son chien qu’on a publié quand Belinda Stronach a rompu avec lui? » lui demandai-je.
Elle acquiesca distraitement.
« J’ai appris aujourd’hui que ce n’était pas son chien, que c’était celui de quelqu’un d’autre qu’il avait emprunté pour la photo », continuai-je.
Elle rougit et sa réaction fut immédiate :
« Comment peux-tu insinuer une telle chose! »
« Non, non, je pense que c’était génial! Et je pense qu’il a fait la même chose avec Nazanin, il ne l’a pas vraiment épousée, il ne l’a qu’empruntée, » dis-je en guise de conclusion.
Ma petite amie me regardait, surprise, la tête penchée sur le côté :
« Tu crois? »
« Bien sûr! La politique c’est du spectacle. Il faut produire un effet, attiser l’intérêt des gens, les divertir pour les aider à oublier les vrais enjeux! »
Ses bras m’enlacèrent vigoureusement et elle se mit à m’embrasser avec ardeur.
« Oh toi! Toi! J’aurais dû y penser! Bien sûr! Bien sûr! Tu as raison! Tu as toujours raison! Comme je t’aime! Merci! Merci! »
À ce moment, je sus que la soirée allait bien se terminer pour moi et je me foutais bien si, pendant que nous ferions l’amour, ma petite amie pensait à un joueur de rugby néo-écossais qui aime les chiens.
Le rugby est un sport violent pratiqué sans aucun équipement de protection. Ce n’est pourtant pas l’activité physique dont les adeptes souffrent le plus de blessures. Il semble que la palme soit remportée par le basketball, le football américain et le cyclisme. Photo licensed by Junkblast