« Gisèle! Gisèle! Vulcain a fait une belle grosse crotte! »
Rien ne me plaisait davantage que de me faire réveiller le matin en entendant mes voisins, Grégoire et Gisèle, annoncer à tout le voisinage les exploits défécateurs de leur chien, Vulcain, un bouvier bernois de 70 kilos.
La vie avait choyé Gisèle et Grégoire. Tous les deux avaient un bon emploi : elle, était secrétaire juridique et lui, enseignait la soudure dans une école de métiers.
Le couple était propriétaire d’une charmante petite maison dans le quartier résidentiel tranquille où j’habitais. Pour réduire l’exiguïté des lieux, Grégoire, qui était habile de ses mains, avait construit une grande terrasse en bois entourée de treillis derrière la maison.
Grégoire et Gisèle étaient dans la quarantaine quand leur fille unique, Danielle, avait quitté le domicile familial pour aller vivre avec son petit ami.
Le samedi du départ de Danielle, Gisèle et Grégoire prenaient le frais tranquillement sur la terrasse lorsqu’ils se sont aperçus que la maison allait leur sembler bien vide sans leur fille.
« On pourrait avoir un chien », dit Gisèle.
Dans son esprit, elle imaginait un shih-tzu, un bouledogue français ou un bichon frisé, se reposant sagement dans un panier d’osier dans la salle de séjour ou dormant au pied du lit. Quelle ne fut pas sa surprise lorsque, quelques jours plus tard, Grégoire arriva après le travail avec un bouvier bernois de deux mois, timide, maladroit et... incontinent.
Le bouvier bernois appartient à la famille des grands bouviers suisses. S'il est pataud, il est néanmoins fidèle et affectueux. Au milieu du XXe siècle, d'après certains, il aurait été croisé avec le terre-neuve pour adoucir son caractère.
Toutefois, elle s’attacha rapidement au chiot si mignon avec sa robe tricolore et son poil long et frisé. Grégoire se chargea de l’éducation de la bête. Tous les jours, il l’emmenait faire de longues promenades. Au bout de quelques semaines il avait même réussi à lui apprendre à se soulager ailleurs que sur la moquette du salon.
Ils avaient décidé de l’appeler Vulcain, du nom du dieu romain du feu, des volcans et des métaux et patron des forgerons, à cause de son poil long et noir. Grégoire savait d’expérience que, à force de travailler dans une forge, on en ressort noir comme le diable.
Les mois passèrent et Vulcain devint un molosse impressionnant qui savait aboyer avec beaucoup de conviction (au grand chagrin des voisins). Il aboyait quand les chats, les ratons-laveurs et les mouffettes s’aventuraient dans le jardin, il aboyait devant les étrangers, mais devenait affectueux dès qu’il les connaissait mieux.
Et pendant l’été, des étrangers, il y en avait beaucoup car Gisèle et Grégoire aimaient recevoir sur leur grande terrasse pour griller des quantités phénoménales de viandes rouges et de côtes de porc, bien arrosées de vin et de bière.
Un beau week-end de juin, Grégoire invita un de ses étudiants étrangers à souper avec des amis. Manuel était Guatémaltèque. Ingénieur en mécanique, son diplôme et son expérience n’étaient pas reconnus au Canada et, n’ayant pas les moyens de recommencer ses études universitaires, il s’était inscrit aux cours de soudure de Grégoire.
Manuel était mince, dans la trentaine. Son regard noir, brûlant et sa démarche digne trahissaient ses ancêtres catalans.
Les nouveaux arrivants furent accueillis par un concert d’aboiements qui cessèrent dès que Vulcain s’aperçût que ni son territoire ni ses maîtres n’étaient menacés.
Gisèle servit de la bière pendant que Grégoire rôtissait les viandes qui dégageaient leur fumet appétissant. Au moment de servir la salade, avec beaucoup de vinaigrette ranch, les conversations allaient bon train, les plaisanteries fusaient de part et d’autre chez les convives et les hôtes. C’était une excellente soirée entre amis.
Après le repas, Grégoire sortit sa guitare et se mit à jouer et chanter pour mettre de l’entrain. Tous les invités étaient ravis de son interprétation de La ballade des gens heureux. Après quelques chansons, Grégoire interrompit son récital pour aller chercher une nouvelle bouteille de vin chilien à la cave.
Quand il revînt, l’atmosphère de la fête avait tout à fait changé.
Manuel avait pris la guitare et jouait un air espagnol, mélancolique et langoureux, envoûtant l’auditoire qui l’écoutait religieusement. Grégoire lui-même dût s’asseoir tant il était étonné par l'excellent jeu de son élève. Gisèle, à ses côtés, était comme hypnotisée.
Après avoir terminé la pièce de guitare sous un torrent d’applaudissements, Manuel refusa modestement de jouer davantage et s’excusa, prétextant qu’il devait partir. Il salua les invités et ses hôtes, les remerciant de leur hospitalité, et s’éloigna dans la nuit.
Quelques jours plus tard, Grégoire revenait d’une longue promenade avec Vulcain. Aussitôt entré dans la maison, Vulcain détala en aboyant, renversant la petite table d'acajou où Gisèle mettait ses violettes africaines et monta au premier pour s’arrêter devant la porte fermée de la chambre.
En enlevant ses souliers, Grégoire pestait contre l’animal. La table était en morceaux sur la moquette et les pots de violettes s'étaient cassés dans le couloir près de l’escalier. Le molosse ne cessait de japper pendant que Gisèle essayait de le calmer.
Au haut de l’escalier, Grégoire eut la surprise de sa vie : devant la chambre, Gisèle était en camisole et Manuel boutonnait rapidement sa chemise tandis que Vulcain grondait méchamment.
Depuis cet incident, la maison a été vendue, mais je vois parfois Grégoire promener Vulcain, seul dans le parc.
Dans les ruines de l’ancienne ville de Pompéii, on a retrouvé de nombreuses mosaïques comme celle-ci portant l’inscription Cave canem c'est-à-dire, gare au chien. Pompéii a été ensevelie sous les cendres et les scories du Vésuve en août 79 de notre ère, au lendemain de 10 jours de fêtes consacrées à Vulcain. Selon la légende, Vulcain aurait surpris son épouse, Vénus, le trompant avec Mars. Tous les cocus de l’empire romain vouaient un culte assidu à Vulcain, dont les temples étaient gardés par des chiens. Photo : Radomil. Photo assujettie à la licence Creative Commons.
Next week: The Mess Dinner
J'aime le lien avec la légende de Vulcain
RépondreEffacerPas mal comme histoire...
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