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Ne serait-il pas merveilleux si ces histoires étaient vraies? Malheureusement (ou heureusement) ce n'est pas le cas. Elles ne sont que le fruit de mon imagination fertile. Tous les personnages et les événements décrits sont fictifs et si vous croyez vous reconnaître ou reconnaître une de vos connaissances, ce n'était pas mon intention et ce n'est qu'une coïncidence. J'espère que ce blogue vous plaira. N'hésitez pas à en faire circuler le lien où vous vous promenez sur l'Internet et à laisser des commentaires ci-dessous. J'aime bien entendre parler de vous.

Geoffroy


2012-09-12

Le cerf de Virginie


À Yves

Un soir d’été, je retournais à ma maison hantée à la campagne. Je négociais un long virage sur une côte abrupte dans ma Renault Alliance 1983. À ma gauche, le soleil se couchait. Tandis que j’abaissais le pare-soleil, j’ai vu une ombre du coin de l’œil.

BANG! J’ai frappé un cerf à 110 km/h. Le pare-brise a explosé et instantanément la voiture se remplit de poils et de l’odeur musquée de la bête sauvage. Je ralentis pour arrêter sur l’accotement.

Je sortis de la voiture pendant que les automobiles qui me suivaient filaient sur l’autoroute et que la malheureuse biche rendait son dernier soupir dans un spasme sur le terre-plein central. En me massant la nuque, je fis le tour de ma voiture pour voir l’étendue des dégats.

Le pare-brise avait éclaté et des touffes de poils étaient restées accrochées dans les craquelures entre les éclats de verre. L’aile droite était froissée et l’un des phares pendait hors de son socle. Le capot et le toit de la voiture étaient enfoncés à de nombreux endroits et le coffre arrière était profondément entaillé.

« Voilà ce qui arrive quand Dame Nature s’attaque à la “Voiture de l’année” de la revue Motor Trends », me dis-je.

Renault Alliance, automobile, 1983, voiture de l'année, Motor Trends
La Renault Alliance était en fait la version nord-américaine de la Renault 9, résultat de l’association de Renault et d’American Motors. Fabriquée de 1983 à 1987, la Renault Alliance avait été impulsivement choisie « Voiture de l’année » par la revue Motor Trends. Elle est rapidement devenue le cauchemar de ses propriétaires en raison de ses problèmes chroniques de moteur, d’embrayage, de transmission, de suspension et d’échappement. On en trouve très peu sur les routes de nos jours.


Un automobiliste s’arrêta pour me demander si j’avais besoin d’aide. Je lui répondis que ça allait et lui ai dit d’appeler la police dès qu’il en aurait l’occasion pour que je puisse avoir un rapport pour la compagnie d’assurance.

J’ai attendu plus d’une heure qu’une auto-patrouille arrive. Le soleil s’était couché, le ciel s’ennuageait et il était évident qu’il allait bientôt pleuvoir. J’ai répondu aux questions de l’agent pendant qu’il remplissait son rapport. Nous avons ensuite marché jusqu’au terre-plein pour voir la bête qui avait détruit ma voiture.

Le cerf de Virginie gisait sur le côté. Des mouches volaient autour de ses yeux béants et son museau écumant. Je trouvais dommage de gaspiller 50 kgs de bonne venaison c’est pourquoi j’ai demandé au jeune officier de m’aider à transporter la carcasse à ma voiture.

cerf de Virginie, chevreuil, buck, faune canadienne
Le cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) se retrouve en grand nombre en Amérique, du Canada jusqu’au Pérou. Il ne s’agit pas d’une espèce menacée étant donné que son prédateur le plus redoutable est sans doute l’automobile.


– Hum, il n’en est pas question monsieur. La saison de la chasse au cerf n’est pas en cours et il vous faudrait sûrement avertir le Service de la faune.

– Mais je ne chassais pas, il s’agit d’un accident...

– Euh, oui, enfin, je crois que le Service de la faune doit d’abord offrir la viande des animaux tués sur la route aux établissements publics pour nourrir les prisonniers, les malades dans les hôpitaux, les orphelins...

Je ne voulais surtout pas priver les Thénardier des ravitaillements avec lesquels ils auraient nourri Cosette, la petite orpheline, et comme je sais qu’il est préférable de ne pas contredire les agents de la paix, j’ai demandé au policier s’il pouvait m’emmener au garage le plus proche pour que je puisse faire remorquer mon auto.

Cosette, Jean Valjean, Thénardier, Les Misérables, Victor Hugo, gravure, XIXe siècle
Cosette est certainement l'un des personnages les plus touchants du roman Les Misérables de Victor Hugo (1802-1885). Elle avait été placée en pension par Fantine, sa mère, chez la famille Thénardier qui la maltraitaient ignominieusement. À la mort de Fantine, Jean Valjean, un bagnard évadé, prit la petite orpheline sous sa protection et l'éleva, tout en essayant d'éviter de se faire arrêter par l'inspecteur Javert, un policier opiniâtre à sa poursuite.


– Si vous pouvez démarrer votre véhicule, vous n’avez pas besoin de remorqueuse, me dit-il.

– Mais il n’y a plus de pare-brise et la voiture n’a qu’un phare...

– Vous ne courez aucun risque, bonsoir monsieur.

Il m’abandonna sur la chaussée pendant qu’il se mettait à pleuvoir. J’ai sauté dans l’auto et démarra. J’ai roulé pendant 25 km sous la pluie sans pare-brise. Quand je suis rentré chez moi, je sentais le chien mouillé.

Le lendemain, après avoir déclaré l’accident à la compagnie d’assurance, j’ai demandé à un ami de me conduire à un comptoir de location de voitures pour que je puisse me déplacer en attendant l’expertise de l’assureur. Mon ami était heureux que je ne sois pas blessé et m’a invité à souper ce soir-là.

Je suis arrivé chez lui vers 18 h, mais quelque chose ne tournait pas rond. Sa fille de cinq ans, Marianne, qui me considérait comme son oncle ne vint pas à ma rencontre comme d’habitude; au contraire, elle m’évitait et boudait.

Pendant que l’épouse de mon ami débouchait le vin et que je lui disais qu’il faudrait peut-être plusieurs semaines avant que je sache exactement l’ampleur des dégats de ma voiture, Marianne s’approcha de moi, en larmes, son ourson de peluche dans les bras, et me demanda :

– Est-ce que c’est vrai que tu as tué Bambi?

Éberlué, je regardai mon ami qui se retenait pour ne pas pouffer de rire.

Mais qu’est-ce qu’il lui avait pris de raconter ça à sa fille?

Il a fallu que j’explique à Marianne que ce n’était pas Bambi que j’avais tué, mais un lointain cousin, très vieux et très malade, que je ne l’avais pas fait exprès, que c’était un accident, et que j’ai tout fait pour que le cerf reçoive des funérailles dignes et honorables. En regardant mon ami de travers, j’ai assuré la petite fille que j’étais vraiment, mais vraiment désolé, que j’aurais préféré que toute cette histoire ne soit pas arrivée et je lui ai demandé pardon.

J’imagine que Marianne a senti combien je regrettais la chose car elle m’embrassa et nous pûmes passer à table.

Une semaine plus tard, la compagnie d’assurance m’avisait que la voiture était une perte totale et qu’elle défraierait la location d’un véhicule jusqu’à ce que j’aie trouvé une autre auto.

J’ai acheté une Pontiac Acadian 1986, une sous-compacte bâtie comme un char d’assaut.

Acadian, Pontiac, 1986, sous-compacte
L’Acadian de Pontiac était l’équivalent canadien de la Chevette de Chevrolet. Il s’agissait d’une voiture robuste contenant beaucoup d’éléments en acier et peu en plastique qui a été fabriquée jusqu’en 1986. L,une des caractéristiques de cette automobile c’est qu’il y avait beaucoup d’espace sous le capot. En fait la personne à qui je l’ai revendue a remplacé le moteur 1,6 litre de quatre cylindres par un moteur V6 beaucoup plus puissant sans avoir à modifier le châssis ni la carosserie.


Quelques jours après avoir pris possession de cette voiture, je revenais de conduire un ami à l’autre bout de la ville vers 22 h. Il y avait des jeunes qui se chamaillaient à un arrêt d’autobus à ma droite et une auto attendait que je passe pour traverser à son tour à une intersection devant moi.

BANG! J’ai frappé un berger allemand sorti de nulle part à ma gauche. Je n’avais jamais eu d’accident de la route de ma vie et en deux semaines je venais de frapper deux animaux!

J’ai garé la voiture près du trottoir pour faire le bilan des dégats. Le phare gauche avait éclaté mais c’était tout. Je suis ensuite allé voir le chien mort.

Les jeunes avaient grimpé dans un autobus qui s’éloignait dans la rue déserte. Pas d’agents de police, pas d’agent du service de la faune et Cosette était sûrement au lit depuis longtemps.

Pendant un moment, une idée folle m’a traversé l’esprit : ramener la carcasse du chien à la maison, la dépecer pour m’en faire à souper et faire monter la tête en trophée par un taxidermiste pour me consoler de n’avoir pu garder « Bambi » deux semaines auparavant.


2 commentaires:

  1. La faune, Victor Hugo et l'automobile... Quel cocktail étonnant!

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    1. Et j'espère que En direct de l'intestin grêle continuera de vous étonner!

      Geoff

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