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You can read English stories from En direct de l'intestin grêle on Straight from the Bowels.

Ne serait-il pas merveilleux si ces histoires étaient vraies? Malheureusement (ou heureusement) ce n'est pas le cas. Elles ne sont que le fruit de mon imagination fertile. Tous les personnages et les événements décrits sont fictifs et si vous croyez vous reconnaître ou reconnaître une de vos connaissances, ce n'était pas mon intention et ce n'est qu'une coïncidence. J'espère que ce blogue vous plaira. N'hésitez pas à en faire circuler le lien où vous vous promenez sur l'Internet et à laisser des commentaires ci-dessous. J'aime bien entendre parler de vous.

Geoffroy


2012-08-09

Le réfrigérateur



Je me souviens de ce poème de Roland Giguère que j’ai appris jadis dans mes cours de littérature : « La main du bourreau finit toujours par pourrir ».

En fait, tout finit toujours par pourrir, en autant qu’on donne aux bactéries de la nourriture, de l’humidité, de la chaleur et du temps.

Prenez par exemple les restes de ce savoureux fettucini aux fruits de mer dont vous vous êtes régalés et que vous avez oublié dans un contenant de plastique sur le comptoir de la cuisine avant de partir en vacances d’été pendant trois semaines.

À votre retour, il est fort probable que la pourriture ait si bien fait son œuvre que le couvercle du récipient se soit descellé sous l’effet des gaz produits par la décomposition et qu’une odeur pestilentielle imprègne votre logement ordinairement si douillet.

Depuis ses origines, la civilisation a voué une énergie et une ingéniosité sans précédent à la préservation des aliments. Le salage, le séchage, la macération dans la marinade sont autant de processus élaborés pour conserver les denrées comestibles.

Il vient un temps toutefois où l’on se lasse de manger de la viande séchée, du hareng mariné ou d’attraper la goutte à force d’ingurgiter des salaisons. Heureusement que la réfrigération et la congélation sont venues à la rescousse

Environ 1700 ans avant l’ère chrétienne, on commence à voir apparaître au Moyen-Orient, des bâtiments hémisphériques dont l’épaisseur des murs et l’usage d’un isolant (comme la paille ou la sciure) permettaient de conserver la neige et la glace d’un hiver à l’autre.

Aux États-Unis et au Canada, de tels bâtiments étaient essentiels pour approvisionner les ménages en glace jusqu’au milieu du XXe siècle, lorsque l’électrification des foyers et la propagation des réfrigérateurs électriques ont rendu cette industrie caduque.

blocs de glace, récolte de la glace, ouvriers, XIXe siècle
En Amérique, près des cours d'eaux à proximité des villes, d'immenses bâtiments tels que celui-ci étaient aménagés pour emmagasiner la glace qui devait durer jusqu'à l'hiver suivant.

Aujourd’hui, le réfrigérateur est un appareil ménager qu’on prend pour acquis. On me dit même que certaines demoiselles jugent de la qualité d’un prétendant par la propreté et le contenu de son frigo.

Messieurs, j’espère que vous prenez des notes et, en passant, nettoyez aussi la salle de bain et changez vos draps.

Toujours est-il que, sachant maintenant qu’il ne faut que quelques semaines pour que des aliments en putréfaction tentent de sortir d’eux-mêmes d’un contenant en plastique oublié sur le comptoir, je me suis demandé combien de temps faut-il à des victuailles qui moisissent dans un réfrigérateur pour ouvrir la porte d’elles-mêmes.

Il me semble que voilà le genre d’expérience qu’aurait adoré Antoine Lavoisier, père de la chimie moderne, qui un jour déclara : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

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Antoine Lavoisier (1743-1794) en compagnie de son épouse Marie-Anne qui lui explique l'importance d'un réfrigérateur propre. M. Lavoisier, en plus d'être chimiste était percepteur d'impôt, une profession peu populaire qui lui valut sans doute d'être guillottiné pendant la Terreur.

Il y a quelques semaines, j’organisais un souper à la maison pour quelques amis. Au menu, il y avait le fameux fettucini aux fruits de mer. Seulement, je devais m’absenter les deux jours précédant ledit souper, c’est pourquoi je fis mes provisions à l’avance.

J’achetai donc les pétoncles, les crevettes, le saumon et les autres ingrédients avant mon départ et les conservai au frigidaire.

Je revins le vendredi soir, la veille du souper. Je reniflai une étrange odeur dans mon logement, mais il était tard, j’étais fourbu et je reportai au lendemain une investigation.

Le matin suivant, la puanteur me réveilla. Dégoûté et me demandant ce qui pouvait produire une telle odeur, je préparai le café et ouvris la porte du frigo pour prendre du lait quand je fus assailli par l’inéluctable processus bactériologique qui s’y déroulait depuis deux jours, quand le compresseur de l’électroménager avait rendu l’âme.

Voyez-vous, un réfrigérateur est un appareil qui transforme la chaleur en froideur au moyen d’un compresseur qui surchauffe un fluide frigorigène, le transformant ainsi en gaz, qui se refroidit en circulant dans un serpentin pendant qu’il reprend sa forme liquide.

La défaillance du compresseur a réussi à élever la température à l’intérieur du frigo à plus de 40 degrés Celsius, l’environnement idéal pour la transformation bactérienne.

Me retenant pour ne pas vomir, j’entrepris donc de vider le contenu du réfrigérateur dans des sacs de plastique que je transportai dehors, dans la remise où je garde les poubelles jusqu’à leur collecte par les éboueurs.

J’appelai ensuite mes invités pour leur expliquer la situation et reporter le souper. Le reste de la journée fut consacré à la recherche d’un nouveau frigo.

Pendant la nuit, je fus réveillé en sursaut par un vacarme épouvantable à l’extérieur. Je m’habillai à la hâte et descendis pour voir quelle en était la cause.

Un ours noir, attiré par l’odeur de la charogne, faisait un festin dans mes poubelles. Quand il me vit, il pencha la tête, étonné de ce dérangement, puis continua de faire bombance en m’ignorant totalement.

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L'ours noir (ursus americanus) est un omnivore très répandu en Amérique du Nord qui s'acclimate malheureusement trop facilement à la présence humaine. Grands mercis à Zebra Jay pour la photo.

Je n’avais aucune idée que faire quand on rencontre un ours sur sa propriété. Faut-il avertir le Service de la faune? À 3 h du matin un dimanche, je doutais pouvoir trouver quelqu’un au bout du fil. Composer le 9-1-1? À mon avis, me faire voler le contenu de mes poubelles par un ours ne constitue pas une urgence et, au Canada, c’est un crime de faire appel au 9-1-1 sauf en cas d’urgence.

J’ai donc décidé de laisser la nature faire son œuvre et l’animal terminer sa ripaille, remettant l’évaluation de la situation au lendemain matin.

« La grande main pourrira et nous pourrons nous lever pour aller ailleurs. »