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Ne serait-il pas merveilleux si ces histoires étaient vraies? Malheureusement (ou heureusement) ce n'est pas le cas. Elles ne sont que le fruit de mon imagination fertile. Tous les personnages et les événements décrits sont fictifs et si vous croyez vous reconnaître ou reconnaître une de vos connaissances, ce n'était pas mon intention et ce n'est qu'une coïncidence. J'espère que ce blogue vous plaira. N'hésitez pas à en faire circuler le lien où vous vous promenez sur l'Internet et à laisser des commentaires ci-dessous. J'aime bien entendre parler de vous.

Geoffroy


2011-06-11

Les lapins mexicains



Ma femme et moi étions séparés depuis environ deux mois. J’avais quitté le domicile conjugal pour m’installer dans un petit studio anonyme et mal insonorisé dans un quartier banal.

L’immeuble dans lequel j’habitais comptait une quarantaine de logements. Mes voisins du dessus étaient un couple de jeunes Mexicains, les Conejo, polis, tranquilles, qui baragouinaient un espagnol nasillard tout à fait inintelligible pour moi.

Un soir, vers 23 h, je dormais sur le divan quand je fus réveillé par les ébats amoureux de mes Mexicains.

« C’est beau l’amour quand c’est bien fait », pensai-je.

En réalité, ces soupirs indécents m’agaçaient royalement car la solitude me pesait.

Après de vaines tentatives pour retrouver le sommeil, j’ai décidé de sortir pour aller lire dans un café en attendant que les hormones des Latinos se calment.

Il y avait un café à une vingtaine de minutes de marche. C’était un de ces cafés franchisés, impersonnels, éclairé par des tubes à néon où des jeunes en uniformes malséants servaient le noir breuvage dans des verres en carton.

Il était ouvert jour et nuit et les fumeurs étaient séquestrés dans une pièce cloisonnée de murs de verre qui était habituellement bondée tandis que tout le reste de l’établissement était vide.

café, chaises métalliques, vide
On aurait pu croire qu'avec l'adoption des lois interdisant la consommation des produits du tabac dans les lieux publics les clients auraient déserté les cafés. Un café sans cigarette ce n'est tout simplement plus la même chose. Or, il semble qu'Antoine de Saint-Exupéry ait eu raison lorsqu'il a écrit : « Il n'y a rien d'intolérable ». Il est surprenant de voir avec quelle rapidité les gens s'habituent à délaisser les plaisirs simples de la vie.

J’entrai dans la pièce exiguë avec mon café et Le loup des steppes d’Herman Hesse, en espérant que la sagesse orientale de l’auteur suisse-allemand me fasse oublier le vide que je ressentais.

Assises à une table pour quatre personnes, deux jeunes femmes discutaient.

— Il m’en est arrivé une bizarre, dit l’une. Jeudi, après mon quart de travail, pendant que je me changeais dans l’arrière-boutique, Marc-André s’est faufilé derrière moi et m’a prise par derrière!

— Ah! Ah! T’en fais pas, s’esclaffa l’autre, Marc-André, il est toujours comme ça!

Je n’en croyais pas mes oreilles. Il ne s’agissait pas du genre de conversation que je m’attendais à entendre dans un endroit public et bondé. J’essayai de me concentrer sur mon livre, allumai une autre cigarette et pris une gorgée de café. J’étais venu pour me changer les idées après tout.

Je réussis à continuer de suivre Harry, le héros du Loup des steppes, dans son labyrinthe ontologique et je parvins presque à oublier les propos scabreux des jeunes femmes. Je remarquai que deux garçons vinrent les rejoindre à leur table, mais je ne leur portai guère attention jusqu’à ce que la jeune femme qui s’était faite trousser par Marc-André se lève pour aller aux toilettes.

Les deux garçons et l’autre jeune femme la suivaient des yeux avec admiration.

À son retour, elle dit :

— Alors, de quoi vous parliez?

— On trouvait que tes jeans te faisaient vraiment un beau cul, dit l’un des garçons.

— Tu sais pourquoi, répondit-elle? C’est parce que je ne porte pas de petite culotte!

Je me replongeai immédiatement dans ma lecture, allumant une autre cigarette, prenant une autre gorgée de café tiède et faisant vraiment un grand effort pour penser à autre chose. Je me demandais si je n’aurais pas dû apporter Les contes de la folie ordinaire de Charles Bukowski au lieu d'un roman d’Herman Hesse.

Au fond, j’avais besoin d’une Hermine, le personnage du Loup des steppes qui aida Harry à jeter un regard objectif sur sa situation et à reprendre goût à la vie.

Ma situation était pourtant différente : je n’étais ni déprimé ni suicidaire, j’étais simplement amèrement déçu de l’échec de mon mariage et, à ce moment, à cause de mes lapins mexicains au-dessus de chez moi et de ces jeunes attablés au café, j’avais des pensées lubriques dont je ne pouvais pas me débarrasser et qui exacerbaient ma solitude.

lapin, conejo
Contrairement à la croyance populaire, le lapin (conejo en espagnol) n'est pas un rongeur. En effet, les rongeurs ont des incisives qui poussent continuellement ce qui les oblige à les user sans cesse. Les lapins, pour leur part, ont deux paires d'incisives placées l'une derrière l'autre. La femelle ovule par réflexe et, trois fois par année, peut donner naissance à jusqu'à 12 lapineaux.


Je ne me sentais tout simplement plus moi-même.

Finalement, les jeunes se levèrent pour partir. Je poussai un soupir de soulagement en tentant de me concentrer sur mon livre.

C’est alors que quatre dames dans la cinquantaine, revenant du bingo, s’assirent à la table des jeunes pour discuter bruyamment de la meilleure façon de se donner du plaisir au moyen d’une pomme de douche à main...

C’en était trop. J’ai fermé mon livre, j'ai éteint ma cigarette, j'ai fini mon café et je suis parti en me félicitant de ne pas avoir pris avec moi un roman de Michel Houellebecq plutôt qu’un livre d'Herman Hesse.

Michel Houellebecq, Elementary Particles, condom, wine glass, pack of cigarettes, Plateforme, ashtray
Michel Houellebecq (1958-...) est un romancier français reconnu pour ses évocations nonchalantes des rapports sexuels. Ses livres, empreints d'un humour acerbe, ont le pouvoir de transformer les femmes en amantes moins timides et de prodiguer un vigoureux exercice à la prostate des hommes.




3 commentaires:

  1. Je voudrais dire que tu as eu une idée simple (décrire ta solitude, que tu as fait très, très bien). C'était presque penible à lire - et pour moi c'est un signe que c'est bien écrit. Ça a l'air d'être très émotionnellement honnête.

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  2. J'aime quand tu écris à la première personne. Mais aussi, j'aime bien les histoires de cul...

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  3. Quel regard concupiscent chez ce lapin!

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