Adrien avait un emploi en or. Il était veilleur dans un immeuble abritant un bureau de poste et les bureaux locaux de quelques ministères. Il ne s’y passait jamais rien d’excitant. L’immeuble n’avait que quatre étages et les rondes qu’il devait faire toutes les heures n’étaient pas épuisantes.
Il travaillait de minuit à huit heures, cinq jours sur sept. C’était un boulot tranquille qui convenait bien à un homme de 55 ans. Il avait également un avantage supplémentaire : vu qu’Adrien dormait le jour, il n’avait pas à composer avec les écarts d’humeur de Marie-Ange, son épouse.
Marie-Ange et Adrien s’étaient mariés à une époque où il le fallait bien. Adrien trouvait Marie-Ange mignonne à 20 ans et Marie-Ange trouvait qu’Adrien était beau dans son uniforme de caporal.
Ils avaient habité des bases militaires, mais ce milieu ne plaisait pas à Marie-Ange. Ils avaient donc commencé à demeurer dans des logements civils. La solde d’Adrien ne leur permettait cependant pas de vivre dans l’opulence.
Lorsqu’on compare son train de vie à celui des autres, lorsqu’on commence à croire que le standing des mieux-nantis constitue la norme, on ouvre la porte aux problèmes.
Petit à petit, Marie-Ange devenait amère.
Adrien, pour sa part, trouvait la routine militaire ennuyeuse, mais il appréciait la camaraderie et l’esprit de corps. De plus, il aimait bien la bière à rabais au mess, ce qui ne plaisait pas du tout à Marie-Ange qui le faisait bien savoir à Adrien.
Adrien eut l’occasion d’aller en mission à l’étranger. Six mois à vivre dans des baraques et à recevoir une prime, mais aussi six mois sans subir les remontrances de Marie-Ange. À son retour, les choses s’étaient un peu calmées, jusqu’à ce que la monotonie de la routine le mène à l’alcool et que l’aigreur de son épouse insatisfaite exacerbe sa frustration lancinante.
Ainsi, quand Adrien ne pouvait plus supporter la rancoeur de Marie-Ange, il partait en mission et la vie suivait son cours.
Au bout de 25 ans, Adrien prit sa retraite avec une modeste pension à laquelle s’ajoutait le maigre salaire de veilleur.
Un soir il avait fait une virée avec d’anciens camarades de régiment ce qui avait provoqué une dispute conjugale sans précédent. À son grand chagrin, Adrien décida donc de cesser de boire, d’autant plus que Marie-Ange contrôlait les finances du ménage et que toute dépense suspecte aurait mené à un interrogatoire serré.
Une belle nuit d’été, vers 3 h du matin, Adrien verrouilla la porte de l’immeuble qu’il gardait pour aller se dégourdir les jambes dans le parc de stationnement du centre commercial avoisinant.
C’est alors qu’il fit une découverte qui changea sa vie.
Dans les poubelles, il y avait des bouteilles consignées pour lesquelles il pouvait obtenir quelques sous en les rapportant à un détaillant. Il commença à les accumuler discrètement dans la cave à la maison.
Les bouteilles sont consignées pour des raisons économiques et écologiques. En moyenne, une bouteille est réutilisée de cinq à neuf fois, mais en des conditions favorables, elle peut être réutilisée jusqu'à 50 fois.
Bien sûr, Marie-Ange lui posait des questions sur les bouteilles vides qui s’empilaient. Adrien ne lui répondait pas sauf pour lui dire qu’il allait s’en occuper.
Une semaine avant de partir en vacances dans la famille de Marie-Ange – une perspective qui ne souriait guère à Adrien vu qu’il ne s’entendait pas avec sa belle-mère – il fit plusieurs visites dans les commerces du quartier pour échanger les bouteilles vides.
En un an, il avait accumulé pour 500 $ de bouteilles consignées.
Quand vint le jour du départ, il ne dit rien à Marie-Ange de la somme qu’il avait en poche et endura sans broncher ses jérémiades pendant tout le trajet.
En arrivant chez sa belle-mère, Adrien gara la voiture, transporta les bagages dans la maison, fit ses salutations à sa belle famille et dès qu’il eut une occasion de s’absenter, il annonça qu’il partait en mission.
Avant que sa femme puisse lui demander des explications, il était déjà sorti.
Pendant cinq jours, il s’imbiba comme une éponge, fit la fête et dormit dans les parcs. Il était heureux, il avait trouvé le moyen de briser la routine.
Bien entendu, quand il revint chez sa belle-mère, il eut droit à une scène véhémente avec sa femme et sa belle famille qui avaient eu vent de ses exploits. Il les écouta sans réagir.
Dans son esprit il ne pensait qu’à recommencer à amasser des bouteilles vides pour se payer une autre cuite épique l’année suivante.
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Congrats Geoff! Love your blog! Keep the stories coming!
RépondreEffacerThank you and I will!
RépondreEffacerJ'ai trouvé l'histoire très triste. Quel vie à mener - de ne pas aimer votre femme et la seule chose à attendre est une cuite épique. Mais c'est bien écrit.
RépondreEffacerTes articles sont toujours comiques... Du moins je ris quand je les lis,même si ceci n'est pas ton intention.
RépondreEffacerJe préfère vous savoir rire que vous savoir pleurer. L'important c'est avant tout que vous trouviez les articles intéressants.
RépondreEffacerMerci de lire En direct de l'intestin grêle.