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Ne serait-il pas merveilleux si ces histoires étaient vraies? Malheureusement (ou heureusement) ce n'est pas le cas. Elles ne sont que le fruit de mon imagination fertile. Tous les personnages et les événements décrits sont fictifs et si vous croyez vous reconnaître ou reconnaître une de vos connaissances, ce n'était pas mon intention et ce n'est qu'une coïncidence. J'espère que ce blogue vous plaira. N'hésitez pas à en faire circuler le lien où vous vous promenez sur l'Internet et à laisser des commentaires ci-dessous. J'aime bien entendre parler de vous.

Geoffroy


2013-03-11

Le nom des bêtes


Il y a très, très longtemps, bien avant ma naissance et sans doute la vôtre, Adam vivait dans le paradis terrestre, un immense jardin situé Dieu seul sait où. C’est d’ailleurs Dieu qui y avait mis Adam sans que celui-ci ne sache trop comment ni pourquoi, mais il ne s’en plaignait guère : le climat était agréable, la végétation luxuriante et la nourriture abondait.

Quand Adam mangeait des fruits, des insectes venaient se nourrir des pelures, des écorces et des noyaux qu’il avait jetés sur le sol. Il pouvait passer des heures, insouciant, à regarder ces bestioles s’affairer : il avait tout son temps. Absorbé par le manège de ses minuscules bêtes qui transportaient les débris de son repas, il s’endormait parfois.

Un jour qu’il sommeillait, il fut éveillé par un gros quadrupède velu aux pattes griffues doté d’un long nez et d’une longue queue qui s’approchait du nid des petites bêtes. D’un coup de patte, la chimère défonça le monticule qui servait de demeure aux insectes et y plongea son long mufle.

« Quel animal effroyable! » se dit Adam appeuré.

Quand la bête retira son museau du tas de terre et qu’Adam vit la longue et mince langue du monstre, sa peur se transforma en véritable terreur, surtout qu’Adam était nu et bien conscient que son corps comptait plusieurs orifices dans lesquels l’appendice de l’animal aurait pu se glisser à la recherche de je ne sais quoi.

C’en était trop, en se levant en hâte, Adam ne put se retenir et se souilla.

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Le fourmilier tamanoir (Myrmecophaga tridactyla) est de la même famille que le paresseux. Certains le confondent parfois avec un ours, peut-être à cause de sa fourrure et de ses griffes. Si vous me le permettez, ces gens-là n'ont pas le sens de l'observation : aucun ours n'a un pif comme ça.

Il s’enfuit à toute vitesse et, arrivé à l’une des rivières qui baignait le jardin, il y plongea pour calmer sa frayeur et se laver.

Un soir, Adam se dirigeait vers un pré où les savoureuses betteraves qu’il y avait plantées poussaient très bien. Il aimait les manger crues, en salade ou même en soupe.

Quoi qu’il en soit, en arrivant sur les lieux, quelle ne fut pas sa surprise de voir une dizaine d’énormes bestiaux occupés à brouter ses betteraves. Affolé, il se cacha dans les arbustes en prenant bien soin de ne pas attirer l’attention des redoutables mastodontes.

Écartant le feuillage derrière lequel il se dissimulait, il observa les gigantesques animaux. C’étaient des quadrupèdes au poil ras de différentes couleurs. Certaines bêtes étaient noires, d’autres blanches, d’autres noires et blanches. Elles avaient le regard impavide, le front bas orné de deux formidables cornes et mâchaient constamment, comme si elles tentaient d’assouvir une faim insatiable.

À cette pensée, Adam détourna les yeux en tentant vainement de retenir ses sanglots, horrifié à l’idée de finir ses jours dévoré par ces colossales créatures. Obnubilé par l’épouvante et le désespoir, il s’oublia et sentit ses déjections lui couler le long des jambes.

À ce moment, Dieu – qui était beaucoup moins occupé que de nos jours – faisait sa promenade vespérale et prenait le frais sur terre, au milieu de sa création. Quelle ne fut pas sa surprise de voir Adam, couvert de fèces et bouleversé, courir de façon désordonnée.

– Halte-là mon homme! dit Dieu. Où vas-tu ainsi barbouillé d’excréments?

Il s’agissait évidemment d’une question rhétorique puisque Dieu est omniscient.

Surpris, Adam éclata en sanglots et s’exclama :

– Mon Dieu, Mon Dieu! Pourquoi m’as-tu abandonné sur cette terre peuplée d’affreuses bêtes! Je m’enfuyais loin de ces dangereux bestiaux qui voulaient me dévorer! dit Adam en montrant du doigt les ruminants qui finissaient de détruire son carré de betteraves.

Dieu, étant omniprésent, n’avait pas besoin de se tourner pour voir où Adam pointait l’index, mais il le fit quand même par souci de politesse et aussi pour dissimuler son sourire en regardant les vaches paître dans les betteraves.

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La betterave (beta vulgaris) est une racine de couleur rouge foncé. Selon le De Re Culinaria, un livre de cuisine de l'époque romaine, les anciens Romains la servaient en soupe pour soigner la constipation. Grands mercis à WPClipart d'avoir mis cette image du domaine public à la disposition de tous.

Il eut pitié d’Adam qui perdait toute maîtrise de ses sphincters chaque fois qu’il rencontrait un animal qu’il ne connaissait pas. Il finirait par mourir de déshydratation s’il n’apprenait pas à se libérer de ses craintes.

Heureusement, Dieu, dans son omnipotence, sût immédiatement ce qu’il fallait faire pour aider sa créature à combattre ses démons. Il appela Adam.

Adam, qui essayait tant bien que mal d’enlever la fiente qui commençait à sécher sur ses jambes, obéit immédiatement.

– Adam, tu es bien à te promener tout nu dans le jardin en ce moment, mais je dois t’avertir que cela ne durera pas. Vois-tu, nous sommes maintenant l’été, mais le jardin aura besoin de se reposer quelques mois. Il doit arrêter de produire un peu pendant l’hiver, quand il fera plus froid, pour reprendre des forces.

– Horreur! dit Adam en recommençant à sangloter. Je vais mourir de froid et de faim!

– Ne t’inquiète donc pas, répondit Dieu. Pour ce qui est de la nourriture, sache que les betteraves que tu aimes tant peuvent se conserver pendant plusieurs mois dans un caveau que tu aménageras sous la terre pendant tes temps libres. Pour ce qui est du froid, j’ai pensé à te confectionner un vêtement, ce qui me cause un petit problème...

Adam restait coi, ne comprenant pas de quoi Dieu parlait. Il n’avait connu ni hiver, ni printemps, ni automne et le concept de vêtement lui était tout à fait étranger.

– Mon problème, dit Dieu légèrement courroucé, est le suivant : comment suis-je sensé te faire un froc si tu fais dedans chaque fois que tu vois quelque chose que tu ne connais pas et qui te dépasse?

Adam craignait la colère de Dieu plus que toute autre chose, c’est pourquoi il s’exclama :

– Mon Dieu, dis-moi ce que je dois faire et je le ferai. Je ferai tout et n’importe quoi pour effacer l’aigreur de ton visage!

Dieu, satisfait de la réponse du premier homme. lui dit :

– Tu as peur des bêtes parce qu’elles te sont inconnues. Voici ce qu’il te faut faire : toutes les fois que tu verras un animal, donnes-lui un nom. Ainsi il ne te sera plus inconnu et tu le connaîtras désormais, mais pas dans le sens biblique du terme...

Devant le regard interrogateur d’Adam, Dieu soupira et ajouta :

– Je t’expliquerai tout ça plus tard. Pour le moment va, que les animaux te deviennent familiers et sois guéri de ta frayeur.

Adam commença donc à nommer les habitants du royaume animal et vit que la connaissance était préférable à l’ignorance tant et si bien que, plus tard, lorsque la compagne que Dieu avait soutiré de son sein pendant son sommeil lui proposa d’aller voir un arbre qui était supposé donner la connaissance du bien et du mal, il n’hésita pas une seconde.

Mais ça, c’est une autre histoire...

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Le bon vieux roi Salomon disait : « Celui qui augmente sa science augmente sa douleur ». De là à dire que la connaissance mène à la mort, il n'y a qu'un pas facile à franchir. Pourtant, les savants comme les ignorants finissent tous au tombeau.


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