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You can read English stories from En direct de l'intestin grêle on Straight from the Bowels.

Ne serait-il pas merveilleux si ces histoires étaient vraies? Malheureusement (ou heureusement) ce n'est pas le cas. Elles ne sont que le fruit de mon imagination fertile. Tous les personnages et les événements décrits sont fictifs et si vous croyez vous reconnaître ou reconnaître une de vos connaissances, ce n'était pas mon intention et ce n'est qu'une coïncidence. J'espère que ce blogue vous plaira. N'hésitez pas à en faire circuler le lien où vous vous promenez sur l'Internet et à laisser des commentaires ci-dessous. J'aime bien entendre parler de vous.

Geoffroy


2013-03-24

À la solde des Russes



Régulièrement, des inforobots russes viennent indexer mes blogues, ce qui me rappelle curieusement le début de ma carrière de rédacteur et de réviseur.

Au début des années 1980, le Canada était en pleine récession, le taux de chômage avait monté en flèche et je me suis retrouvé sans emploi. Le moment était donc idéal pour retourner sur les bancs d’école en espérant de meilleurs débouchés à la fin de mes études.

Les frais de scolarité étaient élevés à l’université et je devais me contenter de boulots précaires à temps partiel pour survivre, ce qui m’obligeait à habiter un logement misérable et à me serrer la ceinture. J’étais sans le sou et je m’endettais.

Ma situation n’était pas unique; depuis toujours, bien des étudiants doivent composer avec de telles conditions qui, je dois l’avouer, aident souvent à former le caractère.

université, enseignement supérieur, escalier de pierre, ENAP, architecture moderne
La première université vit le jour en 1088, à Bologne, en Italie. Contrairement à la croyance générale, on n'y enseignait pas la charcuterie, mais le droit. Aujourd'hui, les universités foisonnent dans les pays industrialisés. Sur la photo, le campus principal de l 'École nationale d'administration publique, à Québec, au Canada, où sont formés nombre de futurs fonctionnaires.

Après avoir obtenu mon diplôme, je pensais naïvement que le temps des emplois méprisables était révolu. J’étais instruit, j’avais acquitté le tribut exigé par mon alma mater, je m’attendais maintenant à pouvoir en récolter les fruits.

Hélas, je me suis vite aperçu que les employeurs n’étaient guère impressionnés par ma réussite universitaire : ils cherchaient des candidats possédant diplôme ET expérience.

Le Canada se relevant péniblement de la crise économique et personne ne voulant m’embaucher, j’ai dû me tourner vers la pige.

J’ai d’abord rédigé des dissertations pour des étudiants qui n’avaient pas la discipline pour assister à leurs cours, mais qui ne voulaient pas non plus briser le cœur de leurs parents par un échec académique.

En connaissant le nom du professeur de mes clients, le sujet de la dissertation, la bibliographie et le syllabus du cours, en deux jours je pouvais pondre un document acceptable de 15 pages en lettres, en sciences sociales et en sciences humaines.

J’allais d’abord à la bibliothèque de l’université pour consulter la thèse de doctorat du professeur afin d’avoir une idée de sa personne, de ses croyances et de son style. Je prenais bien sûr en note les idées recyclables qui serviraient à flatter la vanité du maître.

bibliothèque, livres
Les bibliothèques universitaires ont habituellement sur leurs tablettes les thèses de doctorat de tous les membres de leur faculté. C’est là que vous trouverez ce que racontait votre professeur avant de prendre sa place sur la tribune.
Ensuite, je lisais rapidement l’introduction et la conclusion de tous les livres de la bibliographie liés au sujet de la dissertation que je devais rédiger et je mettais de côté les ouvrages qui me semblaient les plus utiles pour étayer mon discours.

Le cours de lecture rapide que j’avais suivi un été s’est avéré ainsi un excellent placement.

Je rédigeais ensuite sans arrêt pendant quinze heures en incluant toutes les connaissances générales pertinentes que je pouvais posséder.

Sans avoir jamais assisté à aucun de ces cours, je n’ai jamais obtenu une note inférieure à « B » et mes clients satisfaits ont commencé à faire circuler mon nom parmi leurs fainéants camarades.

Malheureusement, ce genre d’écrivaillerie n’est profitable qu’autour de la mi-session ou en fin de session.

Un soir que j’attendais un client au café de l’université, j’ai fait la connaissance d’une étudiante adulte qui suivait des cours de russe et travaillait au service de presse de l’ambassade de l’Union soviétique. Nous nous sommes liés d’amitié et, après l’avoir rencontrée quelques fois et qu’elle sût la nature de mes activités professionnelles, elle m’a demandé si je serais intéressé par un poste de rédacteur-réviseur auprès de son employeur.

Bien entendu, l’idée de travailler dans ce qui pourrait s’avérer un nid d’espions me préoccupait certainement. À cette époque, voyez-vous, la guerre froide faisait toujours rage.

Immeuble de brique, œil de bœuf, centre-ville d'Ottawa, lieu historique national, guerre froide, Igor Gouzenko
Igor Gouzenko, employé du chiffre de l'ambassade de l'URSS, habitait dans cet immeuble de la rue Somerset, à Ottawa. Le 5 septembre 1945, il décida de passer à l'Ouest emportant avec lui une centaine de documents démasquant un réseau d'espionnage russe au Canada avec ramifications en Angleterre et aux États-Unis. C'est un peu grâce à lui que la guerre froide a été déclenchée.
Il y avait toutefois un incitatif non négligeable dont j'ai tenu compte dans ma décision de postuler cet emploi : mon propriétaire aurait pu sortir tout droit d’un roman de Fiodor Dostoïevski et sympathisait avec la classe ouvrière dans la mesure où elle payait son loyer à temps.

L’entrevue que m’a donnée l’attaché de presse s’est bien passée et il m’a offert un emploi à temps partiel à titre de réviseur.

Le service de presse de l’ambassade de l’URSS occupait deux logements contigus au 15e étage d’un grand immeuble résidentiel. L’ameublement consistait principalement en tables et en chaises dépareillées croulant sous des piles de papiers et de publications. La table qui m’a été assignée faisait face à une grande fenêtre avec vue splendide sur la ville.

Mon travail consistait à remanier des articles rédigés à Moscou pour les rendre publiables dans la presse canadienne.

Je ne sais pas si cette méthode a toujours cours, mais à cette époque, les auteurs russes étaient payés à la page : plus long était leur texte, plus élevé était leur revenu.

Quand on sait cela, tout à coup on comprend Guerre et paix et Les Frères Karamazov.

Les écrits que je devais réviser étaient traduits du russe au français ou à l’anglais. Malheureusement, les traducteurs étaient aussi payés à la page, donc des articles déjà verbeux et insipides prenaient de l’expansion par cette transsubstantiation. J’ai vite appris à transformer une loghorrée de 4 000 mots en précis de 300 mots assez acceptable.

Je dis « assez acceptable » parce qu’il était souvent ardu de captiver l’intérêt d’un auditoire en raison du sujet des textes qui m’étaient confiés. La presse canadienne ne se souciait guère du komsomol (organisation des jeunesses communistes) ni de l’utilisation des pesticides pour faire valoir la réforme agraire au Turkménistan, l’une des républiques soviétiques et neuvième plus grand producteur de coton au monde.

De temps à autres toutefois, des sujets intéressants se dégageaient. Des articles concernant le programme spatial soviétique, la recherche médicale ou les merveilles naturelles comme le lac Baïkal pouvaient être remodelés pour parution dans les médias canadiens.

Les mois passaient et, un jour, en regardant par la fenêtre, j’ai remarqué que des grues avaient poussé entre les gratte-ciel à l’horizon. L’industrie de la construction se relevait, signe indéniable que l’économie avait repris son souffle.

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Le secteur de la construction est considéré par certains comme le baromètre de l'économie. Depuis une cinquantaine d'années, la valeur de la richesse produite dans les chantiers de construction ne se mesure plus en litres de sueur transpirée par les ouvriers, mais plutôt en vibration générée par des machines bruyantes et graisseuses, en tonnes de poussière et de débris dégagées et en fonction de la largeur du sourire des promoteurs immobiliers.

Un matin, 18 mois après mon embauche par les Russes, l’attaché de presse m’a appelé dans son bureau pour me dire combien il était satisfait de mon travail. Toutefois, ses supérieurs avaient décidé de moderniser les méthodes de travail; les machines à écrire allaient être remplacées par des ordinateurs. Il fallait réaliser des économies ailleurs. Par cet euphémisme, j’apprenais que j’allais être mis à pied.

Au cours de cette année et demie cependant, ma situation de pigiste s’était améliorée. Je n’écrivais plus de dissertations pour les étudiants. J’avais acquis une expérience précieuse et certains de mes clients, apprenant ma nouvelle disponibilité, augmentèrent ma charge de travail.

Ma carrière pouvait démarrer.


2013-03-11

Le nom des bêtes


Il y a très, très longtemps, bien avant ma naissance et sans doute la vôtre, Adam vivait dans le paradis terrestre, un immense jardin situé Dieu seul sait où. C’est d’ailleurs Dieu qui y avait mis Adam sans que celui-ci ne sache trop comment ni pourquoi, mais il ne s’en plaignait guère : le climat était agréable, la végétation luxuriante et la nourriture abondait.

Quand Adam mangeait des fruits, des insectes venaient se nourrir des pelures, des écorces et des noyaux qu’il avait jetés sur le sol. Il pouvait passer des heures, insouciant, à regarder ces bestioles s’affairer : il avait tout son temps. Absorbé par le manège de ses minuscules bêtes qui transportaient les débris de son repas, il s’endormait parfois.

Un jour qu’il sommeillait, il fut éveillé par un gros quadrupède velu aux pattes griffues doté d’un long nez et d’une longue queue qui s’approchait du nid des petites bêtes. D’un coup de patte, la chimère défonça le monticule qui servait de demeure aux insectes et y plongea son long mufle.

« Quel animal effroyable! » se dit Adam appeuré.

Quand la bête retira son museau du tas de terre et qu’Adam vit la longue et mince langue du monstre, sa peur se transforma en véritable terreur, surtout qu’Adam était nu et bien conscient que son corps comptait plusieurs orifices dans lesquels l’appendice de l’animal aurait pu se glisser à la recherche de je ne sais quoi.

C’en était trop, en se levant en hâte, Adam ne put se retenir et se souilla.

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Le fourmilier tamanoir (Myrmecophaga tridactyla) est de la même famille que le paresseux. Certains le confondent parfois avec un ours, peut-être à cause de sa fourrure et de ses griffes. Si vous me le permettez, ces gens-là n'ont pas le sens de l'observation : aucun ours n'a un pif comme ça.

Il s’enfuit à toute vitesse et, arrivé à l’une des rivières qui baignait le jardin, il y plongea pour calmer sa frayeur et se laver.

Un soir, Adam se dirigeait vers un pré où les savoureuses betteraves qu’il y avait plantées poussaient très bien. Il aimait les manger crues, en salade ou même en soupe.

Quoi qu’il en soit, en arrivant sur les lieux, quelle ne fut pas sa surprise de voir une dizaine d’énormes bestiaux occupés à brouter ses betteraves. Affolé, il se cacha dans les arbustes en prenant bien soin de ne pas attirer l’attention des redoutables mastodontes.

Écartant le feuillage derrière lequel il se dissimulait, il observa les gigantesques animaux. C’étaient des quadrupèdes au poil ras de différentes couleurs. Certaines bêtes étaient noires, d’autres blanches, d’autres noires et blanches. Elles avaient le regard impavide, le front bas orné de deux formidables cornes et mâchaient constamment, comme si elles tentaient d’assouvir une faim insatiable.

À cette pensée, Adam détourna les yeux en tentant vainement de retenir ses sanglots, horrifié à l’idée de finir ses jours dévoré par ces colossales créatures. Obnubilé par l’épouvante et le désespoir, il s’oublia et sentit ses déjections lui couler le long des jambes.

À ce moment, Dieu – qui était beaucoup moins occupé que de nos jours – faisait sa promenade vespérale et prenait le frais sur terre, au milieu de sa création. Quelle ne fut pas sa surprise de voir Adam, couvert de fèces et bouleversé, courir de façon désordonnée.

– Halte-là mon homme! dit Dieu. Où vas-tu ainsi barbouillé d’excréments?

Il s’agissait évidemment d’une question rhétorique puisque Dieu est omniscient.

Surpris, Adam éclata en sanglots et s’exclama :

– Mon Dieu, Mon Dieu! Pourquoi m’as-tu abandonné sur cette terre peuplée d’affreuses bêtes! Je m’enfuyais loin de ces dangereux bestiaux qui voulaient me dévorer! dit Adam en montrant du doigt les ruminants qui finissaient de détruire son carré de betteraves.

Dieu, étant omniprésent, n’avait pas besoin de se tourner pour voir où Adam pointait l’index, mais il le fit quand même par souci de politesse et aussi pour dissimuler son sourire en regardant les vaches paître dans les betteraves.

betteraves, racines, laxatif
La betterave (beta vulgaris) est une racine de couleur rouge foncé. Selon le De Re Culinaria, un livre de cuisine de l'époque romaine, les anciens Romains la servaient en soupe pour soigner la constipation. Grands mercis à WPClipart d'avoir mis cette image du domaine public à la disposition de tous.

Il eut pitié d’Adam qui perdait toute maîtrise de ses sphincters chaque fois qu’il rencontrait un animal qu’il ne connaissait pas. Il finirait par mourir de déshydratation s’il n’apprenait pas à se libérer de ses craintes.

Heureusement, Dieu, dans son omnipotence, sût immédiatement ce qu’il fallait faire pour aider sa créature à combattre ses démons. Il appela Adam.

Adam, qui essayait tant bien que mal d’enlever la fiente qui commençait à sécher sur ses jambes, obéit immédiatement.

– Adam, tu es bien à te promener tout nu dans le jardin en ce moment, mais je dois t’avertir que cela ne durera pas. Vois-tu, nous sommes maintenant l’été, mais le jardin aura besoin de se reposer quelques mois. Il doit arrêter de produire un peu pendant l’hiver, quand il fera plus froid, pour reprendre des forces.

– Horreur! dit Adam en recommençant à sangloter. Je vais mourir de froid et de faim!

– Ne t’inquiète donc pas, répondit Dieu. Pour ce qui est de la nourriture, sache que les betteraves que tu aimes tant peuvent se conserver pendant plusieurs mois dans un caveau que tu aménageras sous la terre pendant tes temps libres. Pour ce qui est du froid, j’ai pensé à te confectionner un vêtement, ce qui me cause un petit problème...

Adam restait coi, ne comprenant pas de quoi Dieu parlait. Il n’avait connu ni hiver, ni printemps, ni automne et le concept de vêtement lui était tout à fait étranger.

– Mon problème, dit Dieu légèrement courroucé, est le suivant : comment suis-je sensé te faire un froc si tu fais dedans chaque fois que tu vois quelque chose que tu ne connais pas et qui te dépasse?

Adam craignait la colère de Dieu plus que toute autre chose, c’est pourquoi il s’exclama :

– Mon Dieu, dis-moi ce que je dois faire et je le ferai. Je ferai tout et n’importe quoi pour effacer l’aigreur de ton visage!

Dieu, satisfait de la réponse du premier homme. lui dit :

– Tu as peur des bêtes parce qu’elles te sont inconnues. Voici ce qu’il te faut faire : toutes les fois que tu verras un animal, donnes-lui un nom. Ainsi il ne te sera plus inconnu et tu le connaîtras désormais, mais pas dans le sens biblique du terme...

Devant le regard interrogateur d’Adam, Dieu soupira et ajouta :

– Je t’expliquerai tout ça plus tard. Pour le moment va, que les animaux te deviennent familiers et sois guéri de ta frayeur.

Adam commença donc à nommer les habitants du royaume animal et vit que la connaissance était préférable à l’ignorance tant et si bien que, plus tard, lorsque la compagne que Dieu avait soutiré de son sein pendant son sommeil lui proposa d’aller voir un arbre qui était supposé donner la connaissance du bien et du mal, il n’hésita pas une seconde.

Mais ça, c’est une autre histoire...

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Le bon vieux roi Salomon disait : « Celui qui augmente sa science augmente sa douleur ». De là à dire que la connaissance mène à la mort, il n'y a qu'un pas facile à franchir. Pourtant, les savants comme les ignorants finissent tous au tombeau.